Emmanuel Macron a annoncé un plan de sobriété pour éviter la pénurie d’énergie l’hiver prochain. Ce ne sera pas suffisant.
Vladimir Poutine a transformé le gaz en arme de guerre. Si le théâtre des opérations militaires est en Ukraine, l’issue du conflit se joue autour de la capacité de résilience comparée des sociétés, face aux sanctions pour la Russie, face à la crise énergétique pour les démocraties. L’Europe, qui dépendait à plus de 40 % de la Russie pour son approvisionnement en gaz au début des hostilités, se trouve en première ligne. Or il ne fait plus de doute que Vladimir Poutine suspendra les livraisons de gaz au cours de l’hiver 2022-2023, comme il a commencé à le faire pour 12 des 27 États de l’Union, et comme il en donne le signal avec la fermeture de Nord Stream 1 depuis le 11 juillet, au prétexte de travaux de maintenance.
Face à la multiplication des crimes de guerre des troupes russes, le maître du Kremlin ne peut compter sur un allègement des sanctions. S’il ne peut atteindre les États-Unis, indépendants énergétiquement, il peut provoquer un choc majeur sur l’Europe. L’interruption des livraisons de gaz russe constituera un séisme pour l’Union, en provoquant une pénurie et une explosion des prix de l’énergie. L’Allemagne, particulièrement exposée, devra réduire sa consommation de gaz d’au moins 20 %, mais tous les pays seront touchés. L’impact du choc excédera le secteur de l’énergie. Sous l’effet de la baisse simultanée de la production et de la consommation, l’économie européenne basculera dans la récession en 2023, tandis que l’inflation sera relancée. La reprise des centrales à charbon, indispensable pour trouver des substituts au gaz mais fléau écologique, augmentera les émissions de dioxyde de carbone. Sur le plan politique, l’approfondissement de la crise énergétique déchaînera les populismes, particulièrement en Italie, qui va aborder des élections législatives à haut risque, alors que Mario Draghi se trouve désormais en sursis. Enfin, sur le plan stratégique, les divisions s’accentueront au sein de l’Union, avec la compétition entre les 27 pour accéder à l’énergie et la stocker, comme au sein de l’Otan, en raison de l’asymétrie qui se creusera entre les États-Unis, qui bénéficieront de la demande adressée à leur secteur de l’énergie, de l’armement et de l’agriculture, et l’Europe, très fragilisée.
Il est donc grand temps que la France et l’Union sortent du déni et tirent les conséquences de la guerre économique que leur livre la Russie, sauf à renforcer cette dernière dans le conflit ukrainien et à lui donner un avantage décisif dans sa confrontation avec les démocraties. La coupure programmée des livraisons de gaz russe implique non seulement une explosion des prix, mais également une pénurie physique d’énergie, qui conduira à des mesures de rationnement. Celles-ci ne pourront pas être supportées uniquement par les entreprises, sauf à effondrer la production et à augmenter l’inflation, et devront concerner aussi les ménages.
La France ne peut s’en tenir à un plan de sobriété visant à réduire de 10 % en deux ans la consommation d’énergie grâce à la mobilisation des administrations publiques et des grandes entreprises. Elle doit décréter un plan d’urgence énergétique. Du côté de l’offre, il s’agit de lever tous les obstacles réglementaires, sociaux et fiscaux, pour permettre de maximiser la production, particulièrement d’électricité nucléaire, et de sécuriser les approvisionnements. Du côté de la distribution, il convient de préparer des mesures de délestage qui cherchent à limiter la baisse d’activité des entreprises, au moment où le déficit commercial s’apprête à dépasser 110 milliards d’euros. Du côté de la demande, une campagne d’information des Français doit être engagée immédiatement, comme en Allemagne, afin de commencer dès cet été à économiser l’énergie.
Simultanément, il faut rétablir progressivement la vérité du prix de cette dernière, qui constitue de très loin le moyen le plus efficace pour réguler sa consommation, réconciliant ainsi sécurité énergétique et transition écologique. Enfin, sur le plan européen, il est indispensable de privilégier la coopération et de réformer rapidement l’organisation calamiteuse du marché européen de l’énergie, qui, dictée par l’Allemagne, a placé l’Union dans la main de Vladimir Poutine. Le général de Gaulle soulignait qu’« être inerte, c’est être battu ». Sa maxime s’applique aussi à la guerre de l’énergie. Cessons d’en parler : livrons-la et gagnons-la !
(Article paru dans Le Point du 21 juillet 2022)