La priorité donnée par le gouvernement au soutien du pouvoir d’achat financé par la dette publique comporte des risques très élevés.
La guerre en Ukraine marque un changement de paradigme géopolitique, avec le retour de la guerre de haute intensité en Europe, mais aussi économique, avec la menace de la stagflation redoublée par une crise énergétique et alimentaire. La France se trouve frappée de plein fouet, au sein d’une zone euro fragilisée.
La croissance dépassera à peine 2 %, alors qu’elle était attendue à 4 %.
L’inflation s’établit à 5,8 % et tend à accélérer en se diffusant à tous les secteurs et tous les acteurs de l’économie.
Le gouvernement fonde toute sa stratégie sur le projet de loi sur le pouvoir d’achat. Il entend mobiliser 25 milliards d’euros supplémentaires pour protéger les Français contre la hausse des prix. Et ce grâce à un vaste catalogue de mesures : prolongation du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité ; plafonnement de l’augmentation des loyers à 3,5 % d’ici à fin 2023 ; pérennisation de la remise de 18 centimes par litre sur le carburant à la pompe ; mesure fiscale en faveur des gros rouleurs ; chèque de 100 euros pour 9 millions de foyers aux revenus modestes ; dégel du point d’indice des fonctionnaires ; triplement de la prime Macron ; revalorisation des retraites et des minima sociaux ; suppression de la redevance audiovisuelle. Au total, l’État dépensera plus de 50 milliards en 2022 afin de limiter le coût de l’inflation importée pour les ménages.
Après la lutte contre l’épidémie de Covid, les conséquences de la guerre en Ukraine aboutissent à la prolongation de la politique du « quoi qu’il en coûte ». D’autant que la configuration politique d’une majorité relative née des législatives fait de la dépense publique le plus petit dénominateur commun pour constituer des majorités de circonstance.
Mais le contexte a radicalement changé et la priorité donnée au soutien du pouvoir d’achat financé par la dette publique comporte des risques très élevés. Le choc que subit l’économie française découle des contraintes d’offre liées à l’épidémie et à sa gestion par la Chine d’une part, au conflit en Ukraine et à la crise énergétique et alimentaire qu’elle a déclenchée d’autre part. Dès lors, la subvention massive de la consommation n’aura d’autre effet que d’aggraver le risque de récession et d’encourager l’inflation du fait des pénuries, tout en creusant le double déficit budgétaire et commercial.
Les mesures de contrôle des prix seront tout aussi inefficaces contre des hausses issues de la réduction de l’offre.
La mobilisation de concours publics considérables pour diminuer le prix de l’énergie, particulièrement celle d’origine fossile, constitue une aberration écologique. Elle compliquera davantage encore la mise en place d’une taxe carbone, instrument économique le plus efficace pour lutter contre le changement climatique. Elle conduit les autorités françaises, contrairement au gouvernement allemand, à occulter les indispensables efforts de sobriété et les mesures de rationnement indispensables dans le cas probable d’une suspension des livraisons de gaz russe.
Le gouvernement français ne tient surtout aucun compte du changement d’environnement financier, avec la fin de l’argent gratuit et illimité sonnée par le retour en force de l’inflation.
En dépensant 2 % du PIB dans le soutien du pouvoir d’achat – dont des dépenses pérennes comme la hausse des rémunérations de la fonction publique – , il se prive de la capacité d’investir dans la réindustrialisation, la souveraineté énergétique et alimentaire, la lutte contre le changement climatique ou le réarmement, comme de la possibilité de répondre à un nouveau choc. Il perd aussi tout contrôle sur les finances publiques, en installant l’idée que l’État a vocation à réassurer le pouvoir d’achat des Français quelles que soient les circonstances.
Les mesures en faveur du pouvoir d’achat porteront le déficit public autour de 6 % du PIB à fin 2022, contre 5 % attendus, et à 5 % du PIB en 2027 alors que l’objectif était de 3 %. La dette publique progressera pour s’établir autour de 114 % du PIB à la fin de l’année. Or les taux d’intérêt remontent fortement, entraînant une hausse de la charge de la dette de 25 à 42 milliards d’euros. Par ailleurs, la BCE qui, via l’Eurosystème, a acquis la totalité des titres de la dette française depuis 2015, va interrompre ses achats.
La France a donc tout pour être confrontée dans les prochaines années à la situation de l’Italie en 2011 et se heurter à la défiance des marchés, en cumulant récession, dégradation rapide de la position extérieure, dette rendue insoutenable par la hausse des taux.
Avec à la clé un passage sous la tutelle de nos partenaires européens et du FMI, qui ira sans doute de pair avec une arrivée au pouvoir des populistes dans notre pays.
Dans le rétablissement de la souveraineté de la France, la sortie de l’addiction à la dette publique est aussi importante que la réduction de la dépendance à l’énergie russe, aux biens essentiels exportés par la Chine ou à la technologie américaine.
(Chronique parue dans Le Figaro du 4 juillet 2022)