La rupture de confiance entre Emmanuel Macron et les Français met le pays au pied du mur. Il n’est pas trop tard pour regarder la vérité en face.
Göran Persson, le Premier ministre social-démocrate qui réforma avec succès le modèle suédois dans les années 1990, martelait qu’« il ne faut jamais laisser perdre la chance d’une grande crise ». La configuration politique qui émerge des élections législatives de 2022 est inédite. Emmanuel Macron, qui se voulait Jupiter, a été foudroyé par sa démesure. Il a perdu non seulement sa majorité, mais également le fil de son quinquennat et ses électeurs, déboussolés par son refus réitéré de faire campagne, par le flou de son projet, par ses revirements incessants entre gauche et droite. La culture du compromis est étrangère à la pratique verticale du pouvoir d’Emmanuel Macron comme à la tradition politique de la Ve République. Elle est pourtant indispensable pour trouver une issue à la crise politique et démocratique. Si s’engage un jeu tactique pervers entre le président et ses opposants pour se rejeter la responsabilité du blocage, la France sera paralysée. Mais l’immobilisme, qui avait dominé dans une version tranquille le quinquennat de Jacques Chirac, est désormais un choix à très haut risque.
La France, engagée depuis plus de quatre décennies dans un long déclin, sort très affaiblie de la succession de chocs qu’elle a subis. Faute de réformes, notre pays sera par ailleurs rattrapé dans les cinq ans qui viennent par une crise financière majeure en raison de la perte de contrôle de sa dette publique, qui atteint 2 902 milliards d’euros, soit 114,5 % du PIB, à la fin de mars. Cette situation est insoutenable, dans le contexte de la remontée des taux d’intérêt, et constitue le plus sûr moyen d’assurer la victoire des populismes en 2027, voire avant en cas de dissolution ou de censure du gouvernement.
Au fond du malheur français, on trouve un malaise démocratique qui est indissociable de la dérive monarchique de la Ve République. Alors qu’elle a été conçue pour affronter les secousses de l’Histoire, elle se révèle de plus en plus inefficace pour moderniser le pays, en même temps que son caractère autoritaire et centralisé se renforce. L’illibéralisme de nos institutions n’a pas été un atout mais un handicap majeur dans l’adaptation de notre pays aux grandes transformations du XXIe siècle.
La crise politique qui ouvre le second quinquennat d’Emmanuel Macron constitue une épreuve de vérité. Elle peut être positive si elle contraint le système politique et les citoyens à revenir à la réalité, aux antipodes d’un cycle électoral lunaire qui a éludé tous les problèmes du pays. Et ce, grâce à l’obligation pour les pouvoirs et les forces politiques de débattre et de négocier, de mobiliser la société civile, au lieu de s’en remettre aux coups de force permanents d’un homme providentiel. Grâce aussi à une meilleure représentativité des Français à l’Assemblée nationale, qui peut désarmer la tentation des protestations violentes dans la rue.
Les conditions à réunir sont difficiles, mais pas impossibles. Le point fixe repose sur le rétablissement de la confiance entre Emmanuel Macron et les Français. Il passe par un triple changement : l’abandon de la confusion permanente du « en même temps » pour une ligne politique claire ; la négociation d’un projet crédible ; la transformation de l’organisation et de l’esprit du gouvernement avec le choix de la politique contre la technocratie, du compromis contre l’autoritarisme, de la décentralisation contre l’étatisme. Le temps n’est plus aux catalogues de mesures contradictoires, mais à la définition de quelques priorités fortes : la reconstitution d’une offre compétitive ; la reprise du contrôle des finances publiques ; la transition écologique ; la remise à niveau de l’éducation et de la santé ; la sécurité intérieure et le réarmement ; l’affirmation des valeurs de la République. Forces politiques, acteurs économiques et sociaux, citoyens devront enfin faire preuve de responsabilité et s’engager au service de la reconstruction de notre pays. Le seul antidote efficace à la crise politique, c’est le rassemblement des Français.
(Article paru dans Le Point du 30 juin 2022)