La France pourrait devenir ingouvernable si les pouvoirs exécutif et législatif ne parviennent pas à coopérer.
Au terme du cycle électoral de 2022, la France se trouve dans une situation sans précédent depuis la naissance de la Ve République. Emmanuel Macron a été réélu le 24 avril non pas sur un projet mais sur le rejet de Marine Le Pen. Huit semaines plus tard, il a été sèchement désavoué par des législatives qui se sont transformées en référendum contre sa manière d’exercer le pouvoir et le laissent isolé, avec une majorité très relative à l’Assemblée.
La crise politique qui couve depuis des années et qui s’était jusqu’alors exprimée dans la rue, notamment avec le mouvement des « gilets jaunes », trouve une traduction électorale et s’installe au cœur de l’État. L’appel au vote forcé contre les extrêmes a fait long feu. Les digues ont volé en éclats et c’est un front anti-Macron qui s’est constitué, les populismes prenant en tenailles la coalition soutenant le président.
La configuration de l’Assemblée nationale de 2022 est beaucoup plus représentative de la réalité politique de la France, éclatée en trois blocs. Elle est également proche de la situation de la plupart des démocraties européennes, dirigées par des gouvernements de coalition qui ont réalisé au cours des dernières décennies – y compris en Italie et en Espagne – des réformes beaucoup plus importantes que celles entreprises et souvent abandonnées par la monarchie républicaine française. L’autoritarisme et le centralisme ne sont pas des facteurs d’efficacité de l’action publique.
Le choc politique reste cependant majeur dans un pays dominé par la primauté du chef de l’État et par le culte du fait majoritaire, qui réduisent – en dehors des périodes de cohabitation – le Parlement au statut de courroie de transmission de l’exécutif et qui privilégient l’autorité verticale sur la négociation d’accords. La brutalité du télescopage entre la configuration qui émerge des législatives et la culture politique fabriquée par les institutions de la Ve République, dont la dérive a été amplifiée par le quinquennat, est donc grosse de risques.
La France pourrait devenir ingouvernable si les pouvoirs exécutif et législatif ne parviennent pas à coopérer, même si la Ve République offre une vaste palette de moyens d’action au président et à son gouvernement. La paralysie de l’État pourrait interdire toute réforme dans une nation dont le modèle économique, social et politique est obsolète et où la dépense publique culmine à 60 % du PIB. Enfin, l’influence internationale de notre pays, affaiblie par son déclin économique et par la perte de contrôle de ses finances publiques, serait définitivement compromise.
La France ne peut guère imaginer plus mauvais moment pour s’enfoncer dans la crise politique. L’économie française est à l’arrêt et très vulnérable du fait du double déficit commercial (100 milliards d’euros sur douze mois) et public (6 % du PIB en 2022). La zone euro se dirige droit vers la stagflation avec une inflation de 8,1 % et pourrait basculer dans la récession en cas d’interruption des livraisons de gaz russe. Le revirement des banques centrales, qui donnent désormais la priorité à la lutte contre l’inflation et la remontée des taux, crée un risque de crise financière. La guerre d’Ukraine ouvre une nouvelle ère stratégique.
Les moments de grand risque sont aussi ceux des plus fortes chances de transformation. La crise politique pourrait être positive si elle favorisait le retour à l’esprit d’origine de la Ve, si elle désarmait les charges protestataires et la violence en ranimant le débat public, si elle favorisait la convergence autour des quelques priorités décisives pour l’avenir du pays.
La condition est que chacun abandonne les postures pour faire preuve de responsabilité. Responsabilité première du président, qui est à l’origine du problème et au cœur de sa solution en tant que garant des institutions : il ne peut ni se défausser sur les autres acteurs ni cultiver le chaos pour préparer une hypothétique dissolution ; il lui revient d’impulser et de piloter le nouveau cours à partir du socle de sa majorité relative en définissant un projet crédible pour son quinquennat et en changeant radicalement son mode d’exercice du pouvoir. Responsabilité de toutes les forces politiques, qui doivent privilégier l’intérêt national sur le blocage des institutions ou l’escalade des affrontements et refuser la tentation démagogique qui consisterait à ne s’accorder que sur l’accélération de la dépense publique. Responsabilité des acteurs économiques et sociaux dans la gestion de la crise économique et financière, notamment de l’inflation, car tout est très loin de ne dépendre que de l’État. Responsabilité des citoyens enfin, qui ne peuvent se contenter d’exprimer leur légitime insatisfaction devant l’ubris cultivée par Emmanuel Macron, mais qui doivent aussi s’engager dans la reconstruction de notre pays.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 juin 2022)