En difficulté sur le plan économique, démographique et international, la Chine de Xi Jinping est une source d’instabilité pour le monde.
Dans la perspective du XXe Congrès du Parti communiste chinois, qui doit le reconduire pour un troisième mandat de président, Xi Jinping a entrepris de desserrer l’étau qui étouffe l’économie et la société chinoises.
Les confinements mis en place au nom de la stratégie « zéro Covid », qui ont enfermé chez eux 350 millions de personnes dans des conditions très éprouvantes, sont progressivement levés. Le crédit bancaire, dont le tarissement avait déclenché le krach immobilier, est assoupli et un nouveau plan d’infrastructures, lancé. Le secteur de la technologie revient en grâce. Il bénéficie de la suspension de nombre des poursuites et enquêtes et se voit à nouveau délivrer les autorisations nécessaires à son développement.
Cette détente a pour objectif de relancer l’activité (qui ne devrait pas progresser de plus de 4 % en 2022, loin de la cible de 5,5), de soutenir l’emploi et de désamorcer les tensions sociales créées par le renforcement du contrôle de la population à l’occasion de l’épidémie de Covid.
La Chine accumule en effet les difficultés. Les naissances ont chuté à 10,62 millions en 2021, contre 14,65 en 2019, pour une population de 1,41 milliard de personnes. La stratégie « zéro Covid », à travers les confinements et la fermeture des frontières, a paralysé la production, les chaînes logistiques et la consommation, qui a chuté de 11 % en avril. Le krach de l’immobilier, qui représente 30 % du PIB, se poursuit avec une chute de 42 % des ventes de logements. Le modèle de développement fondé sur les exportations industrielles est remis en question par la fragmentation de la mondialisation et les stratégies de relocalisation que dictent les impératifs de sécurité et la transition écologique.
Aux problèmes intérieurs s’ajoute la montée des tensions extérieures. Joe Biden a ainsi choisi de dissiper l’ambiguïté stratégique en affirmant l’engagement des États-Unis de défendre Taïwan en cas d’invasion chinoise, ce qui a conduit Pékin à répliquer que « si quelqu’un ose séparer Taïwan de la Chine, l’armée chinoise n’hésitera pas un seul instant à déclencher une guerre, quel qu’en soit le coût ». En Asie-Pacifique, l’opposition est de plus en plus vive à la volonté de Pékin d’asseoir sa domination, ce qui se traduit par le réarmement de l’Inde, du Japon et de l’Australie au sein du Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad). Enfin, l’exportation chez les émergents du modèle chinois à travers les nouvelles routes de la soie bute sur les ravages du surendettement, illustré par la tragique implosion du Sri Lanka.
Xi Jinping consolidera sans nul doute son pouvoir lors du XXe Congrès. Sous la détente provisoire consentie pour des raisons tactiques pointe le maintien de sa ligne stratégique. Elle est fondée sur la recherche de l’autonomie stratégique et la construction d’une vaste zone d’influence impériale. Pékin a déjà basculé dans une logique de confrontation et se prépare à faire face à des sanctions comparables à celles qui visent la Russie en se découplant de l’Occident.
Découplage économique avec la sécurisation des approvisionnements en sources d’énergie, en matières premières et en denrées alimentaires, notamment avec le stockage massif du blé. Découplage technologique avec la volonté de s’affranchir de la dépendance en matière de semi-conducteurs. Découplage commercial avec la création de zones d’échanges en Asie et avec l’Afrique, le Moyen-Orient ou l’Amérique latine hors des mécanismes multilatéraux. Découplage monétaire et financier avec la construction d’un système d’échanges indépendant du dollar, des institutions, des plateformes et des marchés américains. Découplage stratégique avec une compétition de plus en plus ouverte avec les États-Unis, la constitution d’un front avec le Sud pour créer un ordre mondial post-occidental, la modernisation à marche forcée des armées. Découplage idéologique avec le renforcement du caractère totalitaire du régime et l’alliance assumée des empires autoritaires contre la démocratie.
La Chine, qui a assis son émergence sur la mondialisation, est désormais une source d’instabilité et d’insécurité pour l’économie comme pour la géopolitique mondiales. Dans son principe, une détente entre les États-Unis et la Chine serait positive pour les deux pays ; dans les faits, elle est très improbable, et la logique du découplage prévaut, nourrissant les risques de confrontation.
(Article paru dans Le Point du 20 juin 2022)