Amplifiée par le Covid-19, la crise de l’hôpital et de la médecine en général appelle une remise à plat du parcours de soins et plus d’attractivité.
Sur les 620 services hospitaliers d’urgence publics et privés que compte notre pays, plus de 120 sont désormais contraints de suspendre ou de limiter leur activité en raison de la pénurie de personnel et du manque de lits d’aval. Aujourd’hui, des services entiers, dont certains de pointe, qui ferment, faisant peser la menace d’une rupture des soins. Car si l’épidémie recule, ses séquelles sont importantes, qu’il s’agisse des cas de Covid longs, des troubles psychologiques qui affectent un million de personnes supplémentaires ou des files d’attente créées par le report des soins durant deux ans. Le Covid-19 a révélé et accéléré la crise de la santé publique et ses dysfonctionnements. Conformément au principe de Tocqueville, le risque de son effondrement devient maximal au moment où sa situation financière s’améliore avec un effort porté à 12,4 % du PIB en 2020 puis avec les mesures du Ségur de la santé, qui a prévu d’investir 13 milliards dans les rémunérations des soignants, 6 milliards dans l’investissement et 13 milliards dans le désendettement des établissements. Mais si le carcan financier a été desserré, aucun des problèmes structurels accumulés au fil des dernières décennies n’a été résolu, avec une difficulté croissante d’accès aux soins, du fait de la multiplication des déserts médicaux – y compris en Île-de-France, dont 62 % des 12 millions de Franciliens rencontrent des obstacles pour disposer d’un médecin généraliste.
La pénurie de soignants trouve son origine dans le numerus clausus, incompatible avec l’évolution de la médecine, ainsi que dans l’application rigide de la loi des 35 heures, qui s’est traduite par la désorganisation des soins et la dégradation des conditions de travail. Le pilotage du système par la réduction du reste à charge l’a fait basculer dans une logique de rationnement et de baisse de la qualité, marquée par le plafonnement des budgets, par la sous-tarification des actes, par la limitation des investissements, par le report des autorisations pour les médicaments innovants. Le recentrage autour de l’hôpital est, par ailleurs, allé de pair avec l’abandon de la médecine de ville, provoquant l’embolie des services d’urgence.
Simultanément, les hôpitaux ont été soumis à une tutelle bureaucratique exercée par les 18 agences régionales de santé, le fossé s’est creusé avec le secteur privé, aux conditions de travail plus attractives. La rigidité de la régulation budgétaire et la surréglementation ont aussi provoqué la délocalisation de l’industrie biomédicale et le déclin de la recherche académique, comme l’a illustré l’échec de la mise au point chez nous d’un vaccin anti-Covid.
Le système de santé français est désormais menacé de dislocation à brève échéance, si ses performances continuent à se dégrader tandis que ses coûts explosent, avec un déficit de 26,1 milliards d’euros des comptes de la Cnam en 2021. Une refondation globale du système s’impose, à l’image des pays d’Europe du Nord, qui ont associé prévention, coordination avec les hôpitaux, modernisation massive des établissements ou généralisation des solutions numériques.
L’épidémie de Covid a souligné l’importance d’une politique de santé publique et de la prévention, impliquant l’ouverture large des données de santé. Le système de soins a vocation à être repensé autour du parcours du patient, grâce à la coordination entre médecine de ville et hôpital. La prévention et la planification de l’offre de soins devraient être confiées aux régions. Les hôpitaux seraient dotés d’une véritable autonomie de gestion, en s’inspirant des établissements privés à but non lucratif.
Alors qu’hôpitaux et Ehpad devront embaucher 700 000 soignants d’ici à 2030, il convient de planifier un gigantesque effort de formation, de favoriser la validation des acquis et de soutenir l’innovation. Le système de santé constitue un enjeu décisif pour le bien-être des Français, mais aussi pour la compétitivité de l’économie et le contrat social qui unit la nation. Il faut aussi s’en remettre à la responsabilité des citoyens. Les Français doivent entendre que la gratuité généralisée est incompatible avec l’accès à des soins de qualité, que l’hôpital n’est pas destiné à assurer les soins de proximité, que l’engagement requis des soignants comme la complexité et la difficulté de leurs métiers méritent le respect.
(Article paru dans Le Point du 2 juin 2022)