La guerre en l’Ukraine a engendré une confrontation entre régimes autoritaires et sdémocraties. Ces dernières pourraient en sortir grandies.
L’attaque de l’Ukraine par la Russie a ouvert la grande confrontation entre les démocraties et les régimes autoritaires. Elle clôt l’après-guerre froide, avec le retour de la guerre en Europe, y compris sous la forme d’une possible escalade chimique ou nucléaire. Elle marque aussi la fin de la mondialisation, qui se recompose autour de blocs idéologiques, politiques, économiques, technologiques, tandis que les contraintes de souveraineté et de sécurité deviennent prioritaires.
Les démocraties abordent cette nouvelle ère alors qu’elles sont dans une situation difficile. Comme dans les années 1930, elles sont engagées sur les fronts extérieur et intérieur : elles doivent relever le défi des régimes autoritaires tout en endiguant leurs crises internes et en surmontant leurs divisions. Or, depuis le début du siècle, elles ne contrôlent plus l’ordre mondial, du capitalisme, du climat, des modèles et des principes structurant la pensée et le comportement des hommes.
L’enchaînement des guerres perdues de l’Afghanistan au Sahel, le krach de 2008 puis la crise de l’euro, les vagues migratoires puis la pandémie de Covid-19 ont fracturé les sociétés. La décomposition des classes moyennes provoquée par la mondialisation et la révolution numérique a alimenté la colère sociale. Une vague populiste en a résulté, qui a déferlé à partir du Brexit et de l’élection de Donald Trump et a fait émerger des démocraties illibérales, versions douces de la démocrature. Ainsi, depuis 2012, les démocraties véritables ont vu leur nombre chuter de 42 à 34, pour ne plus gouverner que 13 % de la population mondiale.
Le principe posé en 1945 et couronné en 1989 selon lequel la démocratie, le libre-échange et le leadership des États-Unis créent la paix et la prospérité a été battu en brèche. La crise de la démocratie, amplifiée par le repli stratégique de l’Amérique, a ouvert un espace dans lequel se sont engouffrés les régimes autoritaires. Ils ont affirmé leur supériorité pour gérer le développement, assurer la sécurité et la stabilité politique. Ils ont exporté leur modèle, la Russie par l’utilisation de la force armée, notamment via les mercenaires du groupe Wagner, la Chine à travers les « nouvelles routes de la soie ». Ils ont aussi noué une alliance, formalisée par l’accord de partenariat du 4 février 2022, qui entend construire un monde post-occidental, récusant la liberté politique et organisé autour de sphères d’influence impériales.
L’offensive de la Russie en Ukraine devait acter le déclin et la désintégration de l’Occident, en consacrant la supériorité des régimes autoritaires jusque dans le cœur de l’Europe, en ouvrant la voie à l’annexion de Taïwan par la Chine. De fait, le conflit fait émerger une nouvelle donne, mais bien différente de celle imaginée par Moscou et Pékin.
Sur le plan international, un nouveau rideau de fer s’est abattu sur l’Europe, isolant la Russie. Si les pays du Sud observent en majorité une prudente neutralité, estimant que cette nouvelle lutte fratricide qui déchire une Europe haïe pour son passé colonial n’est pas la leur, l’ascension aux extrêmes des violences de l’armée russe en Ukraine suscite l’indignation de l’opinion mondiale. Dans le même temps, la chute de la croissance, la désorganisation des échanges comme la crise énergétique et alimentaire placent nombre de pays, notamment en Afrique, dans une situation critique.
La guerre d’Ukraine ne constitue pas pour l’heure un succès pour les empires autoritaires. Pour la Russie, elle se traduit par l’échec de la guerre éclair au prix de la perte de 20 % des forces engagées, par une récession du PIB de 15 %, par l’effondrement de la démographie et l’exil des élites, par une mise au ban des nations développées et par une dépendance totale envers la Chine. Pour Pékin, dont l’économie ralentit, le coût de « l’amitié sans limite » avec Moscou est de plus en plus élevé, alors que le XXe Congrès du Parti doit confier un troisième mandat à Xi Jinping.
Dans le même temps, loin d’être humiliées, les démocraties se sont réveillées. L’Ukraine, avec le soutien économique et militaire de l’Occident, démontre qu’il est possible de résister avec succès aux agressions et à la violence des autocrates. Les opinions et les citoyens se mobilisent pour accueillir les réfugiés, soutenir l’Ukraine, condamner l’agression et les crimes russes. L’Union européenne est sortie du déni et fait preuve d’une réactivité, d’une détermination et d’une unité inattendues dans la mise en place des sanctions contre la Russie et l’organisation du réarmement. Surtout, les États-Unis pourraient être les gagnants ultimes de la guerre, sur le plan économique avec la demande adressée aux entreprises de l’énergie et de l’armement comme à l’agriculture, sur le plan stratégique avec le renouveau de leurs alliances, au premier rang desquelles l’Otan.
Au total, la guerre d’Ukraine fournit donc des raisons d’espérer dans la liberté politique, qui continue à défier et inquiéter les autocrates. Mais à la condition que les sociétés démocratiques s’accordent sur une riposte globale et résistent dans la durée au choc politique, économique et social provoqué par le conflit. L’endiguement des régimes autoritaires dépend de la capacité des nations libres à se réformer et à rester fidèles à leurs valeurs. Ce combat décisif est loin d’être gagné, comme le montre la victoire de Viktor Orban en Hongrie.
La ligne de front passe aujourd’hui par la France. La victoire de Marine Le Pen à la présidentielle non seulement donnerait une formidable accélération au déclin de notre pays, mais encore diviserait l’Europe et fragiliserait davantage les démocraties. Il est du devoir de tous les Français de l’empêcher.
(Article paru dans Le Point du 13 avril 2022)