Le pari effectué par Xi Jinping en soutenant Vladimir Poutine dans son entreprise impériale est en passe de se retourner contre la Chine.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février dernier, Xi Jinping a apporté un soutien sans faille à Vladimir Poutine, dans le cadre de l’« amitié sans limite » actée par l’accord de coopération du 4 février 2022. La Chine a refusé d’appliquer les sanctions internationales, s’est abstenue à l’ONU et a relayé le narratif de Moscou rejetant sur l’Otan la responsabilité de la guerre. La guerre d’Ukraine est ainsi devenue le laboratoire de l’axe des régimes autoritaires et de leur stratégie visant à faire émerger un monde post-démocratique et post-occidental.
Misant sur une victoire rapide de la Russie, Xi Jinping entendait faire de la Chine le vrai vainqueur du conflit. La coalition des régimes autoritaires devait enregistrer un succès décisif et réaliser une nouvelle avancée, au prix d’une dépendance accrue de la Russie vis-à-vis de la Chine du fait des inévitables sanctions internationales. Les démocraties occidentales étaient censées subir une humiliation et apporter une nouvelle preuve de leur impuissance et de leur division face à la menace de la force armée. L’annexion de l’Ukraine par la Russie constituait enfin la meilleure des répétitions générales pour celle de Taïwan par la Chine.
Mais l’histoire n’est jamais écrite, particulièrement en cas de recours à la guerre dont on sait quand on la commence mais pas quand et comment on la finit. Le culte de la personnalité et l’absence de contrepouvoirs propres aux autocraties du XXIe siècle les ont poussées à la faute.
Pour la Russie, l’agression de l’Ukraine se traduit par un quadruple échec, militaire, économique, diplomatique et moral. Or cet échec rejaillit sur la Chine et amplifie nombre de ses difficultés, l’année même où le XXe Congrès du Parti communiste s’apprête à consacrer le pouvoir de Xi Jinping en l’investissant d’un troisième mandat présidentiel. Pour être alliées et pour communier dans la haine de la démocratie et le ressentiment contre l’Occident, la Chine et la Russie sont dans des situations asymétriques. La Russie est une puissance déclinante au plan démographique, économique et technologique, engagée dans une stratégie d’autarcie et de gains territoriaux par le recours systématique à la force armée. La Chine est une puissance ascendante qui a construit son émergence sur la mondialisation, dirigée par un Parti communiste dont la légitimité est fondée sur la réunification de la nation chinoise mais aussi la capacité à assurer la stabilité et le développement économiques.
Le pari effectué par Xi Jinping en soutenant Vladimir Poutine dans son entreprise impériale est en passe de se retourner contre la Chine, déstabilisée par la déflagration géopolitique et le choc économique provoqués par la guerre en Ukraine.
Pékin se trouve tout d’abord confronté à l’impasse de la stratégie zéro Covid face à Omicron comme du refus de vacciner les personnes âgées. Ceci a contraint à confiner les 13 millions d’habitants de Shenzhen et les 26 millions d’habitants de Shanghaï, au prix d’effets dévastateurs sur la production et les chaînes logistiques. Les naissances ont chuté à 10,62 millions en 2021 contre 14,65 en 2019 pour une population de 1,41 milliard de personnes, ce qui accélère le vieillissement et bride la croissance potentielle.
À court terme, le krach du secteur immobilier se poursuit. La reprise en main idéologique et réglementaire des secteurs de la finance, de la technologie et de l’enseignement privé entraîne une diminution brutale de l’activité et de l’innovation. La chute de l’activité mondiale ainsi que l’explosion des prix de l’énergie et de l’alimentation télescopent aujourd’hui une économie en plein ralentissement. À plus long terme, la fragmentation de la mondialisation remet en question le modèle de développement par les exportations qui a porté les Quarante Glorieuses chinoises.
Le soutien apporté à la Russie conforte aussi la dégradation de l’image de la Chine, comme les inquiétudes que suscitent ses ambitions de puissance et sa volonté d’expansion à Taïwan et en mer de Chine. Le basculement dans une confrontation frontale avec les démocraties, dont témoigne l’atmosphère glaciale du sommet avec l’Union européenne, comporte un coût économique, social et diplomatique très élevé. Le postulat de la décadence et de la désunion de l’Occident se trouve démenti par les réactions à l’agression russe. L’Ukraine fournit par ailleurs à Taïwan, même si la situation est très différente, des enseignements utiles sur la stratégie et les moyens que peut mobiliser un peuple démocratique pour résister à l’attaque d’un empire autoritaire.
Sous le soutien de Xi Jinping à Vladimir Poutine, se creuse ainsi un double écart. Écart entre les visions et les objectifs stratégiques de la Chine et ceux de la Russie. Écart entre la ligne de Xi Jinping et les intérêts fondamentaux de la Chine.
(Chronique parue dans Le Figaro du 11 avril 2022)