Il n’est pas crédible de prétendre rétablir une dissuasion face à Vladimir Poutine quand on cède à la violence des émeutiers corses.
Loin du mythe de la fin de l’histoire, le XXIe siècle est marqué par la multiplication des chocs. Ils entraînent un retour en force de l’État, dont le rôle est non seulement renforcé mais considérablement étendu.
La France, qui s’est construite autour de l’État, amplifie cette évolution. La stratégie dite du « quoi qu’il en coûte » a porté la dépense publique jusqu’à 62 % du PIB et la dette à 118 % du PIB. La guerre en Ukraine est l’occasion d’une nouvelle accélération des interventions publiques, avec le plan de résilience, qui mobilise plus de 30 milliards d’euros pour amortir les conséquences de l’explosion des prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises. L’État, désormais, garantit et finance par la dette toutes les fonctions de l’économie : la production, la consommation et l’investissement.
En apparence, l’État n’a donc jamais été aussi présent et omnipotent. Dans la réalité, il n’a jamais été aussi vulnérable. Son financement dépend tout entier de la BCE à travers ses achats de titres et sa stratégie de taux négatifs qui permet de diminuer le service de la dette en même temps qu’elle augmente. Et l’expansion illimitée de ses interventions s’accompagne d’une impuissance croissante à remplir ses fonctions fondamentales en assurant la paix civile.
Il est inconséquent de prétendre reconstruire la souveraineté de la nation en termes d’énergie ou d’alimentation, en en reportant systématiquement les coûts des ménages vers la puissance publique. Il n’est pas crédible de prétendre rétablir une dissuasion face à Vladimir Poutine quand on cède à la violence des émeutiers corses, après avoir subi la loi des zadistes, des « gilets jaunes » ou des opposants à la vaccination aux Antilles.
L’agression d’Yvan Colonna par un détenu islamiste connu pour sa dangerosité constitue une nouvelle et tragique illustration de la faillite de l’État régalien. Elle témoigne d’un double défaut de surveillance comme des insuffisances chroniques dans la prise en charge des détenus radicalisés. Ce drame a provoqué l’embrasement de la Corse, qui a basculé dans une situation insurrectionnelle.
La perte d’autorité de l’État est complète. La suspension de la peine d’Yvan Colonna pour des raisons de santé est logique et a été décidée conformément aux règles de l’État de droit. En revanche, il est stupéfiant que l’accumulation des erreurs commises par l’administration pénitentiaire ne débouche sur aucune forme de responsabilité politique ou disciplinaire. Surtout, l’ouverture de négociations sur l’autonomie de la Corse acte une nouvelle démission de l’État face à la violence : les émeutiers ont obtenu en sept jours ce que les élus n’ont pu discuter en cinq ans.
Les maux de la Corse sont le miroir grossissant des blocages de l’État et de la décomposition du modèle républicain. Le principe d’un statut d’autonomie pour tenir compte des spécificités insulaires de la Corse n’a rien d’illégitime et s’applique à nombre d’îles ou de territoires périphériques dans l’Union. Il devrait s’inscrire dans une vaste décentralisation, dont l’épidémie de Covid a souligné l’urgence. Mais une réforme institutionnelle, a fortiori à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, ne peut être le résultat de la perte de contrôle de l’ordre public en Corse ni du triple échec d’Emmanuel Macron dans le domaine de la réforme des institutions, de la sécurité et de la modernisation de l’État.
Edmund Burke souligne qu’« un État qui n’a pas les moyens de sa réforme n’a pas les moyens de sa conservation ». Les ambitions et l’expansion sans fin de l’État en France se heurtent à trois obstacles. Financier tout d’abord : l’État surendetté ne peut investir simultanément dans l’éducation, la santé, la police, la justice, la défense, la réindustrialisation, la souveraineté énergétique ou agricole et la transition écologique. Opérationnel ensuite : plus les missions de l’État foisonnent, moins l’exécution est effective et plus la qualité des services publics se dégrade. Démocratique enfin : le fossé se creuse de manière vertigineuse entre la prétention de l’État à tout diriger et contrôler d’un côté, la perte de confiance dans les institutions et les dirigeants de l’autre.
La condition première de la souveraineté et de la liberté réside dans la capacité de l’État à assurer la paix civile et l’ordre public. Ceci suppose d’effectuer des choix clairs pour restaurer ses fonctions régaliennes, ce qui est impossible sans modifier fondamentalement son organisation et sans maîtriser la machine redistributive, qui accapare 34 % du PIB. La résilience passe aussi par la mobilisation des citoyens et de la société civile. « Les Français, remarquait Tocqueville, comptent toujours, pour se sauver, sur un pouvoir qu’ils détestent, mais se sauver par eux-mêmes est la dernière chose à laquelle ils pensent. »
(Chronique parue dans Le Figaro du 21 mars 2022)