L’invasion russe de l’Ukraine réveille de manière surprenante l’opposition entre démocraties et régimes autoritaires.
La grande confrontation entre les démocraties et les régimes autoritaires s’ouvre avec une surprise stratégique. Alors que l’attention était concentrée sur la montée des tensions entre la Chine et les États-Unis autour de Taïwan, c’est en Europe que la guerre a éclatée avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Comme toujours avec la guerre, rien ne se passe comme prévu. Vladimir Poutine a surestimé les performances de l’armée russe, sous-estimé le patriotisme, la détermination et les capacités de résistance des Ukrainiens, minimisé le risque des sanctions internationales en raison de son mépris pour l’Occident.
L’enlisement de son armée ainsi que l’inflation des pertes économiques et humaines l’entraînent dans une ascension aux extrêmes de la violence. La prochaine étape, sur le modèle de la destruction de Grozny et d’Alep, sera le siège et la destruction de pans entiers des villes du centre et de l’est de l’Ukraine.
Elle peut à tout moment déboucher sur une escalade en Europe, en cas d’incident frontalier, dans les Balkans, au Moyen-Orient ou en Afrique.
La Russie a ainsi basculé de la démocrature à la dictature, sous la férule d’un régime qui repose sur l’institutionnalisation du mensonge et de la terreur. Elle se trouve isolée et coupée de la majorité du monde par les sanctions internationales – sans précédent par leur ampleur -, mais aussi par sa sécession d’internet et sa mise au ban du monde du sport et de la culture.
Sous la Russie pointe de fait la Chine, qui partage sa volonté de basculer dans un monde post-occidental. Xi Jinping est réservé devant l’attaque de l’Ukraine, en violation des principes de respect de la souveraineté et de non-ingérence. La déstabilisation de l’économie mondiale, l’explosion des cours des hydrocarbures et des céréales ou le recours au chantage nucléaire créent un environnement négatif pour le Congrès qui doit enterrer l’héritage de Deng Xiao Ping pour confier à Xi Jinping un troisième mandat présidentiel. Pour autant, la Chine ne peut que se réjouir d’un conflit qui défie frontalement l’Occident et ses valeurs, qui met la Russie dans sa main, qui engage durablement les États-Unis en Europe au détriment de leur présence dans le Pacifique et de la défense de Taïwan. Elle n’acceptera de jouer un rôle de médiateur que si elle obtient de substantielles contreparties en termes de levée des sanctions américaines et de reconnaissance de sa souveraineté sur la mer de Chine du Sud. La guerre en Ukraine ouvre une nouvelle guerre froide qui va s’installer durablement, y compris en cas de solution diplomatique à la crise ukrainienne. L’agression russe a ressoudé l’Occident et ranimé l’Otan, mais avec un relatif rééquilibrage entre les États-Unis et l’Union européenne, qui a tardivement pris conscience qu’elle était la prochaine cible de Poutine après l’Ukraine.
Enfin, le monde n’est plus bipolaire et la majorité des pays du Sud, à l’image de l’Inde, de l’Asie hors les proches alliés des États-Unis, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis ou du Sénégal, ont choisi une prudente neutralité en estimant que cette guerre, en forme de nouvelle lutte fratricide dans une Europe qui reste haïe pour son passé colonial, n’est pas la leur.
Les démocraties n’ont ni anticipé ni préparé la confrontation avec les régimes autoritaires. Elles ont fait montre d’une capacité de réaction inattendue, au-delà même de la mise en place d’un régime de sanctions sans précédent. Elles ont redécouvert la valeur de la liberté. Elles disposent d’immenses ressources qui, à long terme, doivent leur permettre de la sauvegarder. Mais à trois conditions qu’il faudra savoir remplir sur une durée longue.
La définition et la mise en œuvre d’une stratégie globale d’endiguement des régimes autoritaires : vis-à-vis de la Russie, ceci passe par des coûts démesurés pour la conquête de l’Ukraine, un strict contrôle des possibilités d’escalade, une riposte globale y compris sur le plan cybernétique mais aussi le maintien des liens avec la société civile russe ; vis-à-vis de la Chine, ceci implique une réduction programmée de la dépendance à ses exportations de biens essentiels.
L’unité des nations libres, qui suppose de réorienter l’Union européenne vers la souveraineté et la sécurité, de rétablir une coopération étroite avec le Royaume-Uni dans le domaine militaire, de relancer l’Otan autour d’un partenariat stratégique équilibré entre les États-Unis et l’Europe.
Enfin, la réinvention des démocraties pour mettre fin à la guerre civile froide qui les mine, stabiliser la classe moyenne, ressouder les nations, rétablir la confiance dans les institutions et les dirigeants, faire la pédagogie des sacrifices que demande la défense de la liberté face aux empires autoritaires.
Cette résilience, comme lors de la première guerre froide, fera ultimement la décision.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 mars 2022)