Il est beaucoup question du pouvoir d’achat dans la campagne électorale, mais son amélioration ne passera pas par plus de dépenses ou de dette.
Un spectre hante la campagne présidentielle : le pouvoir d’achat. La quête frénétique de mesures immédiates pour limiter les effets de l’inflation conduit les candidats à multiplier les propositions démagogiques, depuis la hausse du smic jusqu’au blocage des prix, en passant par la baisse des impôts ou des charges sociales financée par la dette publique. Ils s’inscrivent ainsi dans la continuité de trois décennies, durant lesquelles la progression du niveau de vie a été obtenue soit par des facteurs extérieurs – baisses de prix impulsées par la mondialisation, les importations venues de Chine et les services numériques gratuits –, soit de manière artificielle par la distribution de transferts financés à crédit.
Le pouvoir d’achat, dans notre pays, a ainsi été déconnecté de sa véritable source dans une économie de marché : les gains de productivité et la compétitivité, c’est-à-dire la performance dans la concurrence internationale tant à l’exportation que sur le marché intérieur.
La France bénéficie aujourd’hui d’un momentum favorable, au confluent du Brexit, qui réoriente les flux de capitaux vers l’Union européenne, de la relocalisation de la production des biens essentiels dont l’épidémie de Covid et les tensions internationales ont montré la nécessité, et d’une attractivité retrouvée pour les investisseurs en raison de la qualité des infrastructures, de l’émergence d’un écosystème favorable à l’innovation et du soutien des pouvoirs publics. Mais tout reste suspendu à l’impératif de compétitivité. Or celle-ci continue à se dégrader de façon inquiétante.
Le recul de la compétitivité française s’est accéléré avec l’épidémie de Covid. En témoigne le déficit commercial, qui a atteint un niveau historique de 85 milliards d’euros, en hausse de 27 milliards d’euros par rapport à 2019, dernière année avant la crise. L’excédent du solde des services, qui atteint 36 milliards d’euros, ne permet pas de rééquilibrer la balance des biens et des services, dont le déficit s’établit à 1,5 % du PIB.
Loin d’être conjoncturel, lié à l’épidémie qui a touché des pôles d’excellence comme l’aéronautique ou l’automobile, l’affaiblissement de notre compétitivité est structurel. En effet, les parts de marché françaises ne cessent de diminuer tant dans le monde – où elles ont régressé de 6,3 % à 2,7 % depuis 1990 – que dans la zone euro – où nos exportations ont chuté de 17,6 % à 12,6 % depuis 2000. La fragilisation de nos échanges pour toutes les catégories de produits contraste non seulement avec la performance historique des exportations allemandes, qui se sont établies à 1 375 milliards d’euros en 2021, mais aussi avec l’excédent commercial de 50 milliards d’euros de l’Italie ou la réduction du déficit espagnol à 29 milliards en 2021 contre 35 milliards en 2019.
Le décrochage de la compétitivité française trouve son origine à la fois dans des prix trop élevés, une qualité insuffisante, une spécialisation sectorielle et géographique défavorable. Il est directement lié à la désindustrialisation, comme le souligne le déficit de 68 milliards des échanges de produits manufacturés. La part de l’industrie française a en effet été réduite de 24 % à moins de 10 % du PIB depuis 1980, avec des effets dévastateurs tant pour les exportations que pour l’innovation et pour l’emploi.
Cette dégradation participe du modèle économique insoutenable de notre pays, fondé sur le seul moteur d’une consommation financée par les transferts sociaux et par la dette publique. Ses effets ont été masqués par le passage à l’euro et le long cycle de baisse des taux d’intérêt, qui a réduit la charge de la dette alors même que son montant explosait. Mais le retour de l’inflation provoque une hausse des taux d’intérêt, qui pourrait placer la France au cours des prochaines années dans la situation dramatique éprouvée par l’Italie en 2011.
Les efforts entrepris pour diminuer le poids des charges depuis 2014 ont permis de freiner la désindustrialisation. Ils ont été prolongés par la baisse de 10 milliards des impôts de production en 2021 dans le cadre du plan de relance. Pour autant, cette fiscalité très pénalisante pour l’activité sur le territoire national continue à représenter 3,1 % du PIB contre 1,5 % du PIB dans la zone euro et 0,5 % en Allemagne. Elle devrait à tout le moins être ramenée dans la moyenne européenne, soit une perte de recettes de 39 milliards qui a vocation à être financée non pas par un déficit supplémentaire, mais par une diminution des dépenses publiques. De manière générale, la compétitivité de notre pays passe par une modernisation radicale de l’État, afin de diminuer le niveau record des dépenses publiques (56 % du PIB) et surtout d’en améliorer l’efficacité.
Le second axe concerne la remontée en gamme de l’économie française dans les secteurs clés du XXIe siècle : la connaissance, le numérique, la transition écologique, l’intelligence des réseaux et des villes, l’espace. Il implique une amélioration de tous les facteurs de production : le travail, grâce à un investissement massif dans l’éducation et la formation tout au long de la vie, indissociable d’une profonde réforme du système d’enseignement ; le capital, avec la réorientation de l’épargne vers les fonds propres des entreprises ; l’énergie, avec la révision de la stratégie absurde de sortie du nucléaire ; les infrastructures et l’innovation, enfin. Voilà le vrai antidote au mal français.
(Article paru dans Le Point du 24 février 2022)