Contrairement à ce que le paysage politique français pourrait laisser penser, la social-démocratie connaît un renouveau en Europe.
L’effondrement de la gauche française paraît acter la mort de la social-démocratie en Europe. La gauche libérale et réformiste, qui entend réconcilier le socialisme et le capitalisme, le marché et la solidarité, était triomphante au début du siècle, placé sous le signe de la « troisième voie », qui réunissait Tony Blair, Bill Clinton et Gerhard Schröder. Elle semble aujourd’hui caduque, balayée par la mondialisation et la révolution numérique, déstabilisée par la crise des classes moyennes et le recul des syndicats, impuissante devant les chocs de l’histoire et désarmée face aux populismes. Sa crise serait structurelle, à la fois idéologique face à la montée des préoccupations sécuritaires et à la radicalisation de la guerre culturelle ; sociologique, via la rupture avec les classes populaires ; électorale, avec sa marginalisation par les partis extrémistes, des Insoumis en France à Cinque Stelle en Italie ou à Podemos en Espagne.
Cette analyse trouve à s’appliquer en France, où l’effondrement du parti socialiste débouche sur la chronique du désastre annoncé de la candidature d’Anne Hidalgo à l’élection présidentielle. Mais elle ne se vérifie pas en Europe, où la social-démocratie non seulement n’a pas disparu, mais connaît un net renouveau.
Au Portugal, Antonio Costa a déjoué tous les pronostics pour obtenir une majorité absolue (117 sièges sur 230) aux élections législatives du 30 janvier, ce qui lui permet de gouverner sans devoir faire alliance avec la gauche radicale. Quelques mois auparavant, en Allemagne, Olaf Scholz l’a également emporté, ce qui lui a permis de créer l’alternance après seize années de pouvoir d’Angela Merkel. En Europe du Nord, les socio-démocrates gouvernent la Suède, avec Magdalena Andersson, et le Danemark, avec Mette Frederiksen. En Europe du Sud, ils sont au pouvoir en Espagne, avec Pedro Sanchez, et à Malte, avec Robert Abela.
Enfin, la gauche modérée participe – et joue un rôle clé – aux coalitions qui dirigent l’Italie – le Parti démocrate de Matteo Renzi et Enrico Letta ayant été décisif dans l’accession et le maintien de Mario Draghi à la présidence du Conseil -, la Belgique, le Luxembourg, la Roumanie et la Bulgarie.
Les dirigeants et les partis socio-démocrates qui exercent ou partagent le pouvoir sont tout aussi divers que les résultats qu’ils obtiennent. La clarté de la ligne assumée par Antonio Costa contraste ainsi avec les débuts chaotiques d’Olaf Scholz à la Chancellerie, tant sur le plan intérieur que sur le plan international face à la crise ukrainienne.
Il n’en reste pas moins que l’idée selon laquelle la social-démocratie serait incapable d’affronter les tempêtes de l’histoire se révèle fausse. L’écroulement de la social-démocratie face à la gauche radicale reste une exception française.
En Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Portugal, elle a non seulement pris le pas sur les populistes, mais elle pose les premiers jalons de la reconstruction après l’épidémie de Covid. En Suède, pays pionnier dans la taxe carbone, ou au Danemark, état le plus avancé dans la décarbonation de l’économie, elle se situe à la pointe de la transition écologique. Et c’est encore la Suède qui a ouvert la voie au réarmement de l’Europe pour répondre à la menace de la Russie, notamment en rétablissant le service militaire obligatoire.
Force est donc de constater que la social-démocratie est loin d’être démunie face aux défis du XXIe siècle. La conciliation de la compétitivité économique et de la solidarité, de l’inclusion et de la responsabilité financière, de la liberté et de la sécurité constitue une réponse efficace au retour de l’inflation et à la fin de l’argent magique, à l’explosion des inégalités, à la révolution numérique et à la transition climatique, aux populismes et à la pression des régimes autoritaires.
La survie de la démocratie dépendra de sa capacité à se réformer, elle-même déterminée par le rétablissement du lien social et le renouveau de la citoyenneté. Or la social-démocratie dispose pour cela de véritables atouts, par son ancrage et ses relais dans la société civile.
La social-démocratie réussit donc là où elle s’est réinventée. En se détachant des modèles des années 1970 ou 1990 pour expérimenter de nouvelles formes de partenariat entre un État-entrepreneur et les entreprises, pour remettre l’État-providence au service de la citoyenneté, pour réguler l’immigration et assurer la sécurité. En se libérant de la tutelle idéologique de la gauche radicale, avec son cortège mortifère de détestation du marché, de décroissance et de guerre culturelle. En réinterprétant ses valeurs sociales et libérales pour tenir compte de la nouvelle donne du XXIe siècle, tout en travaillant à restaurer le lien entre les dirigeants et les citoyens.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 février 2022)