La protection des océans constitue une urgence vitale, à laquelle se sont engagés les chefs d’État présents à l’issue du One Ocean Summit.
Notre planète est appelée à tort la Terre, alors que 71 % de sa surface est occupée par les océans, qui constituent une infrastructure essentielle non seulement pour les activités humaines mais pour la préservation de la vie. Les océans produisent 70 % de l’oxygène, absorbent 90 % de la chaleur et le tiers des émissions de carbone. Ils sont aussi le principal refuge de la biodiversité : de 1 à 3 millions d’espèces peuplent les très grandes profondeurs.
Par ailleurs, la mer contribue de manière décisive à l’alimentation de 3 des 7,8 milliards d’hommes. Elle abrite 90 % des réserves d’hydrocarbures et 84 % des gisements de minerais, de métaux et de terres rares. Elle développe des microbes ou des bactéries clés pour l’industrie de la santé, à l’image de l’enzyme utilisée pour les tests PCR concernant le Covid. Elle constitue une source inépuisable d’énergies renouvelables. Elle est le site des mégapoles qui structurent la mondialisation et qui sont dans leur immense majorité des ports. Elle assure plus de 90 % du transport des marchandises en volume, comme le soulignent les tensions créées par la désorganisation des chaînes logistiques lors de la sortie de l’épidémie de Covid.
Pourtant, l’océan n’a jamais été aussi menacé. L’affirmation de Proust dans Les Plaisirs et les Jours selon laquelle « la mer ne porte pas comme la terre les traces des travaux des hommes et de la vie humaine » est devenue fausse : la dégradation du milieu marin s’accélère du fait du comportement des hommes. Le premier dérèglement porte sur le réchauffement climatique, avec une hausse de 1 degré depuis le XIXe siècle de la température des mers qui a pour corollaire leur acidification, détruisant la biodiversité et les récifs coralliens. La pollution constitue le deuxième fléau, notamment par les déchets et les 150 millions de tonnes de plastique qui flottent dans les océans et forment un 6e continent de 1,6 million de kilomètres carrés entre Hawaii et la Californie. Puis viennent la surpêche et la croissance des activités industrielles en mer, du pétrole off shore aux mines sous-marines de diamants ou de métaux. Le dernier risque découle de la volonté des empires autoritaires de s’approprier la mer par la force, à l’image de Pékin et de son projet de grande muraille maritime en mer de Chine du Sud, de Moscou en mer Noire ou dans l’Arctique, d’Ankara et de sa stratégie de la patrie bleue visant à annexer la Méditerranée orientale.
L’humanité ne peut laisser l’océan faire naufrage. Pourtant, il reste le parent pauvre de la protection de l’environnement, comme le montre sa marginalisation dans les COP. D’où l’importance du One Ocean Summit, qui a réuni 41 États à Brest du 9 au 11 février. La conférence a débouché sur un programme de protection des océans organisé autour de quatre axes. La préservation de la biodiversité, avec l’objectif de placer 30 % des mers sous le statut d’aires protégées d’ici à 2030 contre 3 % aujourd’hui, le renforcement de la répression de la pêche illégale et la recherche d’un accord au sein de l’OMC sur la limitation des subventions à la pêche. La lutte contre le réchauffement climatique par la décarbonation des navires et des ports. L’investissement de 4 milliards de dollars d’ici à 2025 dans la réduction de la pollution des plastiques. La négociation d’un traité sur la protection et l’utilisation durable de la haute mer et la cartographie de 80 % des fonds marins d’ici à 2030.
La France a une responsabilité particulière dans la protection des océans, puisqu’elle dispose du deuxième espace maritime après les États-Unis, qui s’étend sur 11 millions de kilomètres carrés et englobe 20 % des atolls et 10 % de la biodiversité mondiale. Emmanuel Macron a ainsi annoncé la création de deux réserves marines de 1,6 million de kilomètres carrés autour des Terres australes et antarctiques françaises et de 500 000 kilomètres carrés en Polynésie française.
La protection des océans constitue une urgence vitale, qui appelle des changements autrement radicaux : la rupture avec la conception de l’océan comme zone de non-droit pour l’ériger en patrimoine de l’humanité avec la mise en place d’une gouvernance mondiale des mers ; l’investissement massif dans l’océanographie ; l’extension des réserves protégées ; la mise en place d’une surveillance permanente par satellites et radars ; la gestion internationale des captures pour assurer la reproduction des espèces…
Il reste parfaitement possible de sauver les océans, comme le montrent les excellents résultats obtenus pour le sauvetage des baleines à bosse et des phoques gris. L’espoir existe de produire dans les mers six fois plus de nourriture et quarante fois plus d’énergie renouvelable tout en réalisant un cinquième des réductions à effet de serre pour limiter à 1,5 degré le réchauffement climatique à l’horizon 2100. Mais il faut pour cela rompre avec l’indifférence des terriens pour la mer. L’océan doit redevenir l’affaire de tous les hommes, et d’abord de ceux qui chérissent la liberté
(Article paru dans Le Point du 17 février 2022)