La réappropriation de l’élection présidentielle par les Français constitue aujourd’hui le premier pas vers le relèvement de la France.
Jamais, depuis les années 1930, la France n’a été confrontée à une situation aussi dangereuse, mêlant décrochage économique et décomposition de la nation à l’intérieur, remontée des menaces stratégiques à l’extérieur. Jamais, depuis les années 1930, la France n’a connu un tel krach civique, associant vide du débat public et polémiques stériles sur de faux problèmes, désengagement des citoyens et emballement des passions extrémistes.
Il est bien vrai que notre pays continue à disposer d’atouts décisifs en termes de talents et de cerveaux, d’entreprises et de technologie, d’épargne, d’infrastructures, de patrimoine, de mode de vie et de culture. Mais les excellences individuelles s’inscrivent dans une faillite collective.
Les performances exceptionnelles de l’année 2021, marquée par une croissance de 7 % et par la création d’un million d’entreprises et de 650 000 emplois, relèvent d’une pure logique de rattrapage. Le modèle économique français reste plus que jamais insoutenable, caractérisé par la poursuite de la désindustrialisation avec une activité manufacturière inférieure de 3,5 % à son niveau d’avant-épidémie, un déficit commercial de 85 milliards d’euros et une dette publique qui culmine à 116 % du PIB. Sans l’euro, la France serait aux portes du FMI pour restructurer ses finances. Simultanément, la société française s’est fracturée autour de clivages religieux, raciaux, sociaux, démographiques, territoriaux de plus en plus irréconciliables. La violence se répand et les valeurs de la République sont de plus en plus contestées.
L’élection présidentielle de 2022 se présente ainsi comme la dernière chance de redresser la France dans un cadre démocratique, avant qu’elle ne soit frappée par un choc financier comparable à celui éprouvé par l’Italie en 2011 ou happée par l’engrenage d’une guerre civile de moins en moins froide.
Or cette élection décisive est plombée par l’euthanasie du débat, qui se résume à un concours de promesses démagogiques, à la recherche de boucs émissaires, à un florilège de grandes trahisons et de petits ralliements. Au vide des idées et des propositions répond la grande illusion de la distribution illimitée et gratuite de l’argent public.
Le grand gagnant de cette drôle de campagne est pour l’heure Emmanuel Macron, qui organise sa réélection sans avoir à faire campagne, à rendre compte de son action ou à expliquer aux Français pourquoi il entend remplir un nouveau mandat, avec quels objectifs et quelles équipes. L’excuse avancée de la priorité à la lutte contre l’épidémie de Covid, à la présidence de l’Union européenne ou à la gestion des crises au Mali ou en Ukraine ne tient pas. Il ne saurait y avoir de discontinuité à la tête de l’État dans ces entrelacs de chocs auxquels notre pays se trouve particulièrement exposé. Mais ils renforcent la nécessité pour les Français, conformément à la logique de la Ve République, de faire la vérité sur la situation de la France et de décider des orientations à lui donner à un tournant de son histoire.
Le choix d’une campagne tronquée et d’un débat occulté est un pari à très courte vue. Il maximise certes les chances de réélection du président sortant. Mais les dommages seront considérables et durables : interdire le débat, c’est ruiner le prochain quinquennat.
Sans débat, nous aurons un président élu le 24 avril prochain, mais avec une base électorale très étroite et donc une légitimité faible, alors qu’il devra tout à la fois réaliser les réformes éludées depuis quatre décennies et affronter de nouvelles tempêtes. Sans débat, nous aurons un président, mais sans capacité de leadership ni projet de redressement de la France. Sans débat, nous aurons un président, mais coupé des élus, des territoires et surtout des citoyens, donc à la merci de révoltes du type du mouvement des « gilets jaunes », au croisement de la sortie de la politique et de la tentation de la violence qui séduit un nombre croissant de Français. Sans débat, nous aurons un président, mais sur fond d’accélération de la crise de notre démocratie et des valeurs de la République en raison de l’affaiblissement conjoint du système politique et de la société civile.
La France ne peut s’offrir le luxe d’une élection pour rien. Il est désormais urgent qu’Emmanuel Macron se déclare candidat s’il souhaite effectuer un second mandat, car c’est la condition première pour que le débat puisse s’engager. Il est par ailleurs de la responsabilité de tous les candidats de mettre une sourdine aux fausses querelles pour discuter de la situation de la France, des voies et moyens du sursaut et de la méthode du changement.
Il n’y a pas de pouvoir légitime et efficace dans une démocratie sans engagement des citoyens. Il n’y a pas de capacité de redressement sans confiance du peuple dans les dirigeants et confiance des dirigeants dans le peuple. La réappropriation de l’élection présidentielle par les Français constitue aujourd’hui le premier pas vers le relèvement de la France.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 février 2022)