Neuf ans après avoir bloqué la descente des djihadistes vers Bamako, la France a échoué au Mali. Comment sortir de ce piège ?
Nicolas Machiavel soulignait qu’« on fait la guerre quand on veut, on la termine quand on peut ». Neuf ans après avoir bloqué la descente des djihadistes vers Bamako, la France n’a d’autre choix que de sortir au plus vite du piège dans lequel elle se trouve enfermée au Mali, prise sous le feu croisé d’une junte, d’une population et de groupes djihadistes qui communient désormais dans la haine de notre pays.
Au Sahel, la France conserve l’avantage dans les combats mais a perdu stratégiquement et politiquement. Les remarquables succès tactiques remportés sur les mouvements djihadistes n’ont pu empêcher ni l’extension de leurs opérations jusqu’au golfe de Guinée, de la Côte d’Ivoire au Bénin, ni le retournement contre notre pays des peuples exaspérés par le nombre des victimes et des réfugiés. La situation du Mali s’est brutalement transformée, rendant impossible la poursuite de notre engagement militaire. Une suite de coups d’État a abouti à la prise du pouvoir par la junte dirigée par le colonel Goïta, qui a refusé d’organiser les élections de février pour les reporter d’au moins cinq ans. La demande de révision des accords de défense signés avec la France le 16 juillet 2014 et la restriction des mouvements aériens indispensables à la logistique de l’opération Takuba sont allées de pair avec l’appel aux mercenaires russes de la légion Wagner qui assurent la sécurité de Bamako. Les tensions entre Paris et Bamako ont atteint un point de rupture avec la décision de la junte d’expulser l’ambassadeur de France le 31 janvier.
Simultanément, l’environnement est devenu plus instable et défavorable à la France. La pression djihadiste a provoqué une cascade de coups d’État jusqu’à créer un Sahel des généraux et des colonels, du Tchad de Mahamat Déby à la Guinée de Mamady Doumbouya et au Burkina Faso de Paul-Henri Damiba. À la solidarité entre putschistes s’ajoute le soutien de l’Algérie pour désarmer les sanctions adoptées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Les États-Unis, eux, poursuivent leur repli, laissant le champ libre à la Chine au plan économique, à la Russie au plan militaire, à la Turquie au plan religieux. Il va sans dire que les djihadistes sont les premiers bénéficiaires de la déstabilisation des États du Sahel.
La France n’a donc d’autre choix que de se retirer du Mali. La décision est d’autant plus urgente que les menaces sur le continent européen se renforcent, venant de puissances entendant construire par la force des sphères d’influence. Ainsi la Russie a engagé une guerre hybride totale contre l’Europe qui associe la mise sous influence de la Biélorussie, la menace d’invasion de l’Ukraine, le chantage au gaz, qui représente 40 % de la consommation de l’UE, l’instrumentalisation des migrants, la multiplication des cyberattaques et le soutien des forces populistes. Parallèlement, la Turquie pousse ses revendications sur la Méditerranée orientale, poursuit la réislamisation des Balkans et mobilise ses communautés émigrées contre les pays d’accueil.
La France doit aussi tirer toutes les leçons de sa défaite au Mali, qui confirme certaines des faiblesses relevées dans la gestion du Covid :
- Le déficit d’anticipation et de réactivité face à la vitesse des changements.
- La difficulté de l’État à définir et à appliquer une stratégie globale.
- L’insuffisante résilience et l’incapacité à gérer les crises dans la durée.
- Le retard numérique et l’absence de réponse aux campagnes de désinformation conduites par les démocratures, qui clivent la société et creusent la défiance des citoyens envers les dirigeants.
Au-delà du retrait du Mali, le prochain président devra donc réévaluer les menaces qui pèsent sur notre pays et sur l’Europe, redéfinir la stratégie pour y faire face, renforcer la résilience de l’État, dégager les moyens nécessaires pour assurer en toutes circonstances la sécurité de la France et la liberté des Français.
(Article paru dans Le Point du 3 février 2022)