En apparence, la France aborde cette cinquième vague dans une situation favorable. Pourtant, d’inquiétants signaux d’alerte se multiplient.
Sur le plan sanitaire, le réseau mondial de surveillance a permis la détection précoce du nouveau variant Omicron. Les spectaculaires progrès de la science permettent de disposer de vaccins efficaces contre les formes graves et de premiers traitements, notamment le molnupiravir de Merck et le Paxlovid de Pfizer. Sur le plan économique et social, la résilience a nettement progressé et la continuité de la vie nationale est mieux assurée. Les États peuvent réactiver les mesures d’aide en les ciblant finement vers les secteurs les plus touchés. Les entreprises et les ménages savent désormais produire et consommer dans le contexte de mesures sanitaires rigoureuses. La chute de l’activité par rapport à 2019, qui avait atteint près de 20 % dans l’OCDE lors du premier confinement, est aujourd’hui limitée à 2,8 %.
Mais la durée longue de l’épidémie génère aussi de nouveaux risques. Les mesures sanitaires et la vaccination ne permettent pas d’atteindre l’immunité collective et se heurtent à des résistances croissantes dans les pays développés, comme le montrent les violentes manifestations en Autriche, aux Pays-Bas, en Roumanie ou dans les Antilles françaises. La recrudescence de l’épidémie aggrave les pénuries et entraîne une forte hausse de l’inflation (4,9 % dans la zone euro, 6,2 % aux États-Unis et 10 % dans le monde), tout en accélérant l’endettement public et privé. Enfin, l’enlisement dans une pandémie qui paraît ne plus avoir de fin accroît la fatigue des citoyens, le désaveu envers les institutions et l’emprise des partis populistes dans les démocraties.
Comme à chaque étape de l’épidémie, la cinquième vague constitue un test pour les nations et leurs dirigeants, faisant la vérité sur leurs performances. Déjà 46 États sur 197 ont décidé de fermer leurs frontières au tourisme. En Europe, certains pays ont pris des mesures fortes, à l’image de l’Autriche, qui a mis en place un quatrième confinement et une obligation vaccinale à partir du 1er février 2022 que l’Allemagne devrait également adopter. Qu’en est-il de la France ? En apparence, notre pays aborde cette cinquième vague dans une situation favorable. Pourtant, d’inquiétants signaux d’alerte se multiplient, qui tiennent à l’incapacité persistante de l’État d’anticiper, ce qui lui impose de subir au lieu d’agir, ainsi qu’aux faiblesses de la politique sanitaire et économique.
Toute la stratégie de lutte contre l’épidémie se réduit à la vaccination et à l’obligation implicite créée par le passe sanitaire, étendu à la troisième dose à partir du 15 janvier 2022. Mais, hors vaccination, le système de santé publique s’est fortement dégradé. En dépit du « Ségur de la santé », les fermetures de lits concernent jusqu’à 20 % de la capacité hospitalière en région parisienne. Et ce du fait de la vacance de 5 % des postes et d’un taux d’absentéisme supérieur à 10 % des effectifs.
Toute la politique économique se résume à dépenser toujours plus au nom du « quoi qu’il en coûte » qui n’a jamais cessé. L’État prétend garantir les ménages contre l’inflation avec le chèque de 100 euros et le plafonnement à 4 % de la hausse des prix de l’électricité, qui coûtera plus de 12 milliards en 2022. Il a prolongé les PGE jusqu’en juin prochain et prévoit une nouvelle aide aux entreprises pour compenser l’augmentation des matières premières. Et ce alors que la dette publique atteint déjà 116 % du PIB – soit 41 000 euros par Français – et que l’inflation va provoquer une remontée brutale et rapide des taux d’intérêt.
La cinquième vague rappelle que nous allons vivre longtemps avec le Covid. Elle confirme également les leçons de la première. La résilience et la performance des nations dépendent de la vitesse de réaction des États, de la vitalité de l’industrie, de la science et de la recherche, de la cohésion de la population et de sa maîtrise des nouvelles technologies, de la confiance dans les dirigeants, de leur ouverture internationale. En France, les entreprises et les citoyens montrent une réelle capacité d’adaptation. Mais tout ce qui dépend de l’État – la santé, l’éducation, la sécurité, la justice – se contente d’absorber les milliards comme le buvard boit l’eau, reste imperméable à tout changement et dysfonctionne de plus en plus.
« Un État sans les moyens de changer se prive des moyens de se conserver », rappelait Edmund Burke. Il se prive aussi des moyens de protéger ses citoyens. Le Covid démontre que la France ne peut ni se reconstruire, ni faire face aux chocs et aux risques du XXIe siècle sans entreprendre une modernisation radicale de son État.
(Chronique parue dans Le Figaro du 6 décembre 2021)