Face à la flambée des coûts de l’énergie, l’Union européenne doit réagir vite. Sans répéter les erreurs commises dans les années 1970.
L’indemnité inflation de 100 euros décidée par le gouvernement ainsi que le gel jusqu’à la fin de 2022 des tarifs du gaz marquent une nouvelle embardée dans la course à la démagogie de la classe politique. Loin de prendre fin avec la reprise, le « quoi qu’il en coûte » est élargi à la compensation de la hausse du coût de l’énergie et de l’inflation. L’État se substitue ainsi au système productif pour garantir les revenus des Français face à la hausse des prix, ce qui est insoutenable. Par ailleurs, la subvention indirecte à la consommation de carburants fossiles est contraire à la lutte contre le réchauffement climatique.
La multiplication par cinq des prix du gaz et le triplement de ceux de l’électricité sur les marchés de gros en moins d’un an crée un choc dévastateur. Il menace de casser la reprise et d’enfermer l’économie mondiale dans la stagflation. Il est porteur d’un risque social majeur, ranimant le spectre des Gilets jaunes. Enfin, il pousse à remettre en service les mines et les centrales au charbon au prix d’un désastre environnemental.
Si l’envolée des prix de l’énergie comporte bien une dimension conjoncturelle, les vraies raisons de cette flambée sont structurelles. Elles découlent de la hausse de la démographie et de l’urbanisation, de l’émergence du Sud, de la montée du numérique, de la décarbonation progressive de l’économie qui induit une hausse de la demande de gaz pour sortir du charbon, de la rivalité croissante entre grandes puissances pour maîtriser leurs sources d’approvisionnement. Loin d’être une exception, les chocs énergétiques sont donc appelés à se multiplier.
L’économie du XXIe siècle, pour être placée sous le signe de la transition écologique, continuera à reposer sur l’énergie. La hausse de la consommation d’électricité, d’ici à 2050, est estimée à plus de 40 % en France et à 50 % en Europe. Or les risques de black-out sont réels. En témoignent les catastrophes en Californie à la suite des incendies ou du Texas lors de la vague de froid de février 2021. Elles soulignent la vulnérabilité des systèmes électriques aux événements climatiques extrêmes, à l’obsolescence et à l’insuffisante interconnexion des réseaux, à la dérégulation non maîtrisée et à la sous-estimation des enjeux de sécurité.
L’impact de ce choc est particulièrement violent dans l’Union européenne, qui acquitte le prix fort pour avoir aligné sa politique énergétique sur celle de l’Allemagne, dont la sortie précipitée du nucléaire a débouché sur un quadruple échec : énergétique avec un déficit de production de plus de 10 % par rapport à la consommation prévue en 2030 ; économique avec la dilapidation de 500 milliards d’euros ; écologique avec le recours au lignite ; stratégique avec la dépendance au gaz russe. Le marché européen de l’énergie conjugue ainsi des risques majeurs de black-out du fait de l’insuffisance de l’offre et du déclassement programmé d’importantes capacités assurant une base électrique pilotable, d’une volatilité maximale des prix indexés sur ceux du gaz, d’une stagnation de la baisse des émissions, d’une dépendance dangereuse envers la Russie pour le gaz et envers la Chine pour le solaire et l’éolien.
Le choc énergétique constitue une occasion unique pour affronter les défis du XXIe siècle et repositionner l’Europe. La réponse réside dans une stratégie de long terme autour de sept objectifs :
- Le renforcement du grand marché européen de l’énergie, indispensable pour les interconnexions et pour la mise en place d’un prix du carbone, mais en le réorientant vers la production et la distribution.
- La hausse de l’offre décarbonée à travers l’affirmation du principe de la neutralité technologique qui conduit à classer le nucléaire ou le biogaz parmi les sources bas carbone.
- Le soutien de l’innovation dans les domaines du stockage et de l’hydrogène.
- L’investissement dans la résilience des réseaux.
- L’amélioration de l’efficacité énergétique des transports et des logements.
- La réduction de la dépendance au gaz russe et à la Chine pour les renouvelables.
- La justice sociale car le chauffage, l’éclairage ou la mobilité sont des biens de première nécessité, dont la rupture du service ou l’explosion des prix ne peuvent que déchaîner la violence.
Il est vital de ne pas rééditer les erreurs commises dans la gestion des chocs pétroliers qui provoquèrent la stagflation des années 1970. Il reste possible de concilier une offre abondante et compétitive d’énergie, la transition écologique, la justice sociale et la sécurité. Mais cela suppose un aggiornamento de la politique énergétique de l’Union européenne comme de la France, qui s’est acharnée à détruire son industrie nucléaire alors qu’elle constitue son premier atout pour réussir la transition écologique.
(Article paru dans Le Point du 28 octobre 2021)