Si le plan d’investissement d’Emmanuel Macron est d’abord une annonce politique, l’accent placé sur l’industrie et l’innovation est légitime.
Emmanuel Macron a dévoilé le 12 octobre le plan France 2030, qui prévoit d’investir 30 milliards d’euros sur cinq ans dans quinze secteurs prioritaires afin de relancer l’industrie et l’innovation en France. Cette annonce est d’abord politique : elle s’inscrit dans la campagne du président pour sa réélection, qui met désormais le « quoi qu’il en coûte » au service de sa candidature et entend profiter pleinement de la confusion qui règne au sein de ses opposants.
Pour autant, l’accent placé par Emmanuel Macron sur l’industrie et l’innovation est légitime. Depuis le début du XXIe siècle, le décrochage de la France s’est accéléré, avec un recul de la 4e à la 7e économie mondiale. La crise de l’industrie, dont le poids dans le PIB a chuté de 24 % à 10 % du PIB, en a été le moteur, car elle joue un rôle déterminant dans la qualité et le volume de l’emploi, dans l’innovation et dans l’exportation.
Il ne fait pas de doute que le redressement de la France passe par sa réindustrialisation et par un vigoureux effort de recherche. Le plan France 2030 ne peut cependant qu’être accueilli avec scepticisme.
Par son montant et son financement tout d’abord : il est en effet sous-calibré pour combler le retard d’investissement et d’innovation accumulé par notre pays, tout en restant trop coûteux car financé en totalité par la dette publique, qui atteint désormais 116 % du PIB, et non par la réorientation des dépenses courantes de l’État qui vont encore enfler de 11 milliards d’euros en 2022. Surtout, il s’inscrit dans l’interminable série de plans portés par l’État, dont le programme des investissements d’avenir de 2010 ou le plan de 57 milliards de 2017, qui ont systématiquement échoué et dont les erreurs n’ont été ni analysées, ni corrigées.
L’économie française peut aujourd’hui être comparée à une entreprise proche de la cessation des paiements. Elle possède des actifs et des activités de grande valeur. Mais elle ne peut relancer leur exploitation qu’à trois conditions : traiter ses problèmes de coûts ; assainir sa structure financière ; transformer sa gouvernance, car on ne met pas en place les solutions avec les hommes et les structures qui sont à l’origine des problèmes. Si ces conditions ne sont pas remplies, réinvestir ne sert à rien sinon à dilapider l’argent public. Or la démarche de France 2030 fait l’impasse sur ces conditions préalables. Dès lors, comme par le passé, les 30 milliards de dépenses seront bien réels ; mais les 45 milliards d’euros de richesses supplémentaires et les dizaines de milliers d’emplois promis à grand renfort de communication resteront virtuels.
Emmanuel Macron a justifié le plan France 2030 en indiquant qu’il était indispensable pour financer le modèle social français. Or rien n’est plus faux.
Le modèle social français est aujourd’hui insoutenable, car il explique tant l’effondrement de la croissance, qui a perdu 1 point par décennie depuis les années 1970, que la majeure partie de la dérive de la dette publique. Il conduit ainsi mécaniquement notre pays à une situation de défaut lorsque les taux d’intérêt remonteront. Aucun plan d’investissement public ne peut le sauver.
France 2030 entend par ailleurs promouvoir un État stratège et entrepreneur, dont l’épidémie de Covid a montré qu’il était vital pour la résilience de la nation. Mais les faits jurent avec les mots. Le choix des 15 secteurs prioritaires n’a été précédé d’aucun diagnostic partagé avec les entreprises ni d’aucune cartographie des opérateurs ou des compétences requises. Il en résulte un risque de saupoudrage et un inventaire à la Prévert, dont témoigne la présence des créations culturelles, au nom de « la défense de l’humanisme français », ou de l’exploration des fonds marins. Par ailleurs, l’investissement de 6 milliards dans les semi-conducteurs laisse perplexe, alors que le taïwanais TSMC s’apprête à investir plus de 100 milliards dans ses usines d’ici à 2024.
Le plan France 2030 renvoie à quelques rudes vérités. L’État, s’il veut être stratège, devrait se consacrer en priorité à résorber son inefficacité chronique et à se moderniser. S’il souhaite, à raison, devenir entrepreneur, il devrait interrompre la logique destructrice qu’il a appliquée à la filière nucléaire, au secteur des transports ou à l’industrie de la santé, sacrifiée au tonneau des Danaïdes de la sécurité sociale. Il devrait aussi protéger les entrepreneurs au lieu de les euthanasier, comme il l’a fait avec les politiques du franc fort et de l’euro fort qui ont tué le Mittelstand français, avec le prélèvement de 70 milliards d’euros d’impôts sur la production, contre 10 milliards en Allemagne, ou encore avec la réglementation et le coût du travail. L’État entrepreneur sans les entreprises ni les entrepreneurs n’a pas plus d’avenir que le capitalisme sans capital.
(Chronique parue dans Le Figaro du 18 octobre 2021)