La glaciation durable des relations entre Paris et Alger constitue un nouvel échec de la diplomatie d’Emmanuel Macron.
Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a décidé la fermeture de l’espace aérien aux avions militaires français de l’opération Barkhane et le rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris. Et ce en représailles à la division par deux des visas accordés aux Algériens et aux déclarations d’Emmanuel Macron sur le « système politico-militaire fatigué » qui dirige l’Algérie et sur la « rente mémorielle fondée sur la haine de la France » qui lui tient lieu de légitimité.
La glaciation durable des relations entre Paris et Alger constitue un nouvel échec de la diplomatie d’Emmanuel Macron. Sa relance du dialogue mémoriel autour du rapport de Benjamin Stora comme la confiance et la cordialité qu’il a témoignées au président Tebboune ont été considérés comme autant d’aveux de faiblesse. Ils ont débouché sur le blocage de toutes les questions bilatérales, du laissez-passer consulaire avec un taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français de 0,2 % au statut des investissements en passant par la coopération dans la lutte contre les djihadistes au Sahel.
Sous le naufrage annoncé de la énième tentative de relance du dialogue entre Paris et Alger pointe la faillite de l’Algérie. Elle partage avec le Venezuela d’être un pays immensément riche ruiné par un régime liberticide et corrompu, par un modèle d’économie socialiste et par la malédiction des matières premières. Le chômage touche un quart des actifs et plus de la moitié des jeunes.
La pauvreté est endémique avec un revenu limité à 4 100 dollars par habitant et par an et des inégalités gigantesques.
La tutelle de l’État sur l’économie va de pair avec une corruption endémique, nourrie par le contrôle des importations, des prix et des changes.
La situation s’est brutalement dégradée sous l’effet de quatre facteurs : l’explosion démographique avec plus d’un million de naissances par an ; la chute du prix des hydrocarbures qui a amputé le PIB de 40 % entre de 2014 et 2020 ; l’épidémie de Covid ; enfin les incendies qui ont ravagé la Kabylie l’été dernier. La timide reprise enregistrée en 2021 avec l’envolée du prix des hydrocarbures n’offre qu’un répit provisoire.
Le blocage du développement a pour pendant l’immobilisme du système politique, que le départ forcé puis la mort d’Abdelaziz Bouteflika n’ont en rien résolu. La dictature de l’État-FLN adossée à l’armée et aux services de sécurité s’est accordé un nouveau sursis avec la désignation du président Tebboune. Mais le régime a été profondément déstabilisé par le Hirak et se trouve totalement paralysé : il ne peut ni se maintenir ni se réformer, ni céder le pouvoir ni l’exercer. Son seul ressort demeure la recherche de boucs émissaires extérieurs tels que la France, le Maroc ou Israël, et son seul projet d’avenir la dénonciation du colonialisme qui a disparu depuis soixante ans.
Le peuple algérien a compris que le procès fait à la France – avec l’aide de Recep Tayyip Erdogan – d’un génocide fictif et l’exploitation de la guerre d’indépendance se réduisent à des alibis brandis par le régime pour justifier ses échecs. Mais le Hirak, de plus en plus soumis à l’emprise des islamistes, ne parvient pas à offrir une alternative crédible.
L’Algérie est une bombe à retardement, dont l’explosion programmée serait catastrophique pour les Algériens, pour le Maghreb mais aussi pour l’Europe. Sa population atteindra 50 millions d’habitants en 2050. Son économie est promise à la ruine avec la fin de la rente pétrolière accélérée par la lutte contre le réchauffement climatique. Sa dictature reste trop forte pour être renversée mais est trop faible pour diriger le pays et pour le réformer, ce qui la place à la merci d’un basculement vers une démocrature islamiste dont la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, de plus en plus influente, offre le modèle.
Au lieu d’osciller entre la soumission à la mythologie mémorielle et la passivité, la France et l’Europe doivent définir et mettre en œuvre une stratégie cohérente vis-à-vis de l’Algérie. Une stricte conditionnalité de l’aide, notamment pour la modernisation des infrastructures, à la réadmission des clandestins expulsés par les États membres de l’Union européenne. Une stratégie de codéveloppement fondée sur le secteur privé et les entrepreneurs.
Le maintien des liens avec la société civile algérienne, vivante et connectée, en mobilisant la diaspora et le levier de la langue française. Le déploiement d’un système européen de surveillance et d’intervention en Méditerranée afin de pouvoir en assurer la sécurité en cas de déstabilisation du Maghreb, et notamment d’implosion de l’Algérie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 11 octobre 2021)