La reprise ne durera pas car les faiblesses structurelles de notre économie sont toujours présentes.
En 2021, la croissance de l’économie française atteindra 6,25 %, selon l’Insee, soit sa meilleure performance depuis 1973, ce qui permettra à l’activité de retrouver son niveau de 2019 en fin d’année. L’emploi salarié privé et public dépassait déjà de 145 500 postes son étiage d’avant la pandémie au début de l’été. À entendre le gouvernement, l’économie française serait ainsi non seulement en passe de surmonter le choc le plus violent qu’elle a subi depuis la Deuxième Guerre mondiale, mais elle en sortirait renforcée.
La réalité est toute différente : pour être vigoureuse, la reprise est hémiplégique et restera éphémère compte tenu de l’accroissement des faiblesses structurelles de notre économie. La forte croissance de 2021 résulte entièrement de l’effet de rattrapage qui suit la récession historique de 8 % du PIB en 2020, récession dont la nature reste unique puisqu’elle n’a pas été provoquée par des déséquilibres économiques mais par les mesures sanitaires prises par l’État pour répondre à l’épidémie. Le mouvement mécanique de récupération lié à la levée des restrictions gouvernementales jouera encore en 2022, avec une progression de l’activité autour de 4 %. En revanche, il disparaîtra en 2023, avec un retour vers la croissance potentielle de notre économie qui se situe autour de 1 % par an. Le contenu d’une reprise est en effet aussi important que son niveau. Or on ne peut que constater qu’il renforce le modèle insoutenable d’une croissance à crédit, tirée par la seule consommation.
La production demeure inférieure de 2,7 % à son niveau de fin 2019, souffrant de pénurie de matières premières, de composants et de travail – avec la coexistence aberrante de plus de 1 million d’offres d’emploi non pourvues et d’un chômage partiel qui porte encore plus de 610 000 salariés. Par ailleurs, certains secteurs restent profondément déprimés, comme l’aéronautique, l’hôtellerie de luxe ou la culture, de même que certaines zones géographiques, notamment Paris où le commerce et le tourisme sont sinistrés. Enfin, du fait de la compétitivité en berne de notre appareil de production et de la perte de 0,2 % des parts de marché à l’exportation, la reprise entraîne l’envolée du déficit commercial à plus de 70 milliards d’euros, faisant la fortune des entreprises chinoises et allemandes, mais aussi italiennes et espagnoles.
Surtout, la croissance en 2021 découle entièrement du déficit public de 9,2 %, qui a porté les dépenses publiques à 62 % du PIB et le déficit structurel à 6,3 % du PIB. Loin d’une normalisation, la stratégie du « quoi qu’il en coûte » se prolongera en 2022, avec la fuite en avant des dépenses de fonctionnement et la perspective d’un second plan d’investissement. La croissance française repose ainsi entièrement sur la dette.
Au total, l’économie française sort profondément affaiblie de l’épidémie de Covid, avec une croissance amputée de 5 %, mais beaucoup plus de chômeurs structurels et de dettes. Le chômage touche 8,2 % de la population active – hors chômage partiel – contre 4,5 % en Allemagne.
La croissance potentielle poursuit ainsi sa chute en raison d’une redoutable tenaille. D’un côté, la pénurie de travail, la chute des compétences qui affecte plus de la moitié des postes de travail, l’euthanasie de l’investissement et de l’innovation par le carcan réglementaire et fiscal. De l’autre, faute de réforme de l’État, l’explosion des finances publiques pour des services publics dont la qualité s’effondre, à l’image de l’éducation, de la santé et de la sécurité. La revalorisation des rémunérations des soignants, des enseignants et des policiers, sans aucune amélioration de l’organisation du travail et des performances des services rendus à la population, constitue de ce point de vue une nouvelle occasion perdue et une source d’inquiétude majeure pour l’avenir.
La reprise se résume à un feu de paille alimenté par des dépenses publiques, dont l’immense majorité finance des dépenses courantes et non des investissements. La relance s’est contentée de distribuer du pouvoir d’achat fictif qui a été converti en épargne à hauteur de 157 milliards d’euros et en achats de produits étrangers. Elle renforce le risque d’une crise financière à partir de 2023, qui verra la France afficher le plus important déficit de la zone euro en pleine période de resserrement des politiques monétaires de la FED et de la BCE et de remontée des taux longs. En faisant le choix d’une reprise à crédit tournée vers la consommation, en renonçant à libérer une offre ligotée, en écartant la négociation d’un nouveau pacte économique et social, Emmanuel Macron renforce ses chances d’être réélu en 2022, mais il installe une redoutable épée de Damoclès au-dessus du prochain quinquennat.
(Chronique parue dans Le Figaro du 13 septembre 2021)