L’Allemagne connaît une campagne volatile, grâce à son opposition à la guerre en Irak et à son empathie pour les victimes des inondations à l’Est.
L’élection législative allemande du 26 septembre suscite en France une indifférence aussi étrange qu’infondée. Du fait du déclassement de notre pays, l’Allemagne est en effet le seul leader de l’Union et de la zone euro, dont les orientations influent sur la situation de toute l’Europe.
L’Allemagne connaît la campagne électorale la plus volatile depuis la victoire à l’arraché de Gerhard Schröder en 2002, grâce à son opposition à la guerre en Irak et à son empathie pour les victimes des inondations à l’Est. Trois candidats se disputent la Chancellerie : Annalena Baerbock pour les Verts, après un départ fulgurant, a vu ses chances réduites par son livre plagiat ainsi que les approximations de son CV et ses déclarations fiscales ; Armin Laschet pour la CDU-CSU a dilapidé son avance à force d’erreurs et de maladresses ; Olaf Scholz pour le SPD a créé la surprise en s’imposant comme le champion de la stabilité, voire l’héritier naturel d’Angela Merkel. Le resserrement des écarts multiplie les configurations gouvernementales possibles – à l’exclusion d’une participation de l’AfD en perte de vitesse – . Il pourrait déboucher sur une coalition à trois partis, qui rendrait aux libéraux du FDP leur position pivot au Bundestag et dans le gouvernement.
L’imprévisibilité politique a pour pendant la multiplication des incertitudes stratégiques. En vingt ans, l’Allemagne a abandonné le statut d’homme malade de l’Europe pour s’affirmer comme une puissance majeure, garante de la cohésion de l’Union européenne et de la pérennité de l’euro. Berlin, de capitale provinciale, est redevenue une grande métropole internationale. La fracture entre l’Est et l’Ouest a été largement réduite.
L’industrie allemande a reconstitué sa force de frappe pour générer de formidables excédents commerciaux.
Sous ce brillant retournement pointent cependant contradictions et risques qui remettent en question la solidité du modèle allemand. Certains ont été mis en lumière par les erreurs d’Angela Merkel concernant la gestion de la crise de la zone euro et du défaut grec, la sortie précipitée du nucléaire en 2011, l’ouverture unilatérale des frontières aux réfugiés syriens en 2015 ou l’opposition systématique à une autonomie stratégique européenne décrétée illusoire.
La croissance tirée par les exportations industrielles bute sur la remontée du protectionnisme, l’implosion de la mondialisation et l’urgence climatique. La compétitivité par la baisse des coûts aggrave les inégalités et retarde la transformation numérique. Le culte de l’équilibre budgétaire et la proscription de l’endettement sacrifient l’investissement et l’innovation.
Le mercantilisme diplomatique débouche sur la complaisance face au total-capitalisme chinois et aux démocratures russe et turque et le déni des menaces qu’ils font peser sur les démocraties.
La délégation de la sécurité aux États-Unis et à l’Otan est télescopée par le repli de l’Amérique sur ses intérêts nationaux et par son unilatéralisme – illustrés par la débâcle d’Afghanistan -, créant un dangereux vide de sécurité pour une Europe qui constitue une proie des plus tentantes pour les fauves qui se disputent un monde retourné à l’état de jungle.
Il reviendra au futur chancelier et à son gouvernement de relever ces défis.
La campagne électorale a délivré quelques premières réponses. La lutte contre le réchauffement climatique, dont la nécessité a été tragiquement rappelée par les inondations en Rhénanie de juillet dernier, sera une priorité de premier rang. Il en va de même pour l’intégration de l’Europe, faute d’alternative à la suite du repli des États-Unis ainsi que de la fermeture économique et idéologique de la Chine. Pour autant, les divergences entre les candidats et les partis restent fortes.
L’Allemagne entre donc dans une période d’incertitudes qui exige de profonds changements. Mais, contrairement à la France qui sort exsangue de l’épidémie de Covid, elle y entre en position de force.
Au-delà des performances de son industrie et de sa recherche, elle dispose d’atouts essentiels : l’amélioration spectaculaire de son système éducatif ; le dynamisme et la cohésion de la société civile ; le fédéralisme de ses institutions ; l’adhésion profonde à la liberté et la vitalité de sa démocratie qui lui ont permis d’enrayer la poussée populiste. La succession d’Angela Merkel accouche ainsi d’un véritable débat sur le repositionnement et l’avenir de l’Allemagne. Plus décisive encore, compte tenu du décrochage du pays, l’élection présidentielle française de 2022 ne semble malheureusement pas prendre le même chemin.
(Chronique parue dans Le Figaro du 6 septembre 2021)