Le nouvel ordre mondial post-Covid oblige les démocraties occidentales à réinventer un contrat politique, économique et social.
Les pandémies remettent en question les modèles économiques, la hiérarchie des puissances, la confiance dans les institutions et l’ordre du monde. Elles modifient en profondeur les mentalités des peuples. En cela elles sont toujours des crises morales, dont l’issue ne peut être technique mais se joue en termes de valeurs.
L’épidémie de Covid-19 a fait basculer les représentations et les préoccupations des citoyens. La priorité donnée à la santé et à la sécurité a réhabilité le rôle de l’État et justifié la suppression de toute limite aux dépenses et à la dette publiques. Les mesures de lutte contre l’épidémie – des confinements aux passeports sanitaires en passant par les couvre-feux – ont replacé les libertés publiques au cœur du débat politique. Elles ont accéléré la partition du monde entre les États autoritaires, qui, à l’image de la Chine, ont profité de la crise pour renforcer la surveillance numérique de leur population, et les nations qui ont veillé au respect des droits des individus.
La liberté politique est bien l’enjeu central du XXIe siècle. Elle détermine le clivage de la nouvelle guerre froide qui oppose les deux coalitions conduites par les États-Unis, l’Europe et les démocraties asiatiques d’un côté, la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie, de l’autre. Elle joue également un rôle central dans la dynamique de polarisation des sociétés, à l’image des États-Unis, divisés par des conceptions irréductibles de la nation et de la citoyenneté, comme c’est apparu lors de l’élection de 2020 puis de l’assaut du Capitole. Simultanément, les gouvernements démocratiques sont sommés de répondre aux périls qui menacent la planète au nom du bien commun de l’humanité. Les entreprises sont également concernées avec la remise en question du capitalisme actionnarial et l’accent placé sur la responsabilité sociale et environnementale, qui intègre désormais le respect des droits de l’homme.
La définition et l’affirmation des valeurs se trouvent donc au cœur du travail de réinvention de la démocratie et du capitalisme. Le nouveau contrat politique, économique et social implique une redéfinition de la citoyenneté, qui ne peut plus se limiter aux transferts de l’État-providence, mais qui a vocation à se décliner en termes d’engagement et de responsabilité. Le capitalisme de « raison d’être » suppose un nouvel équilibre entre des entreprises assumant une part de l’intérêt général et un État rompant avec le clientélisme pour se concentrer sur ses missions essentielles : la santé, l’éducation, la sécurité, le soutien à l’innovation.
Les mesures de lutte contre l’épidémie ont replacé les libertés publiques au cœur du débat politique.
Nations, entreprises, citoyens, chacun est donc amené à se repositionner en fonction des valeurs, et – avant tout – de la liberté. Pour les démocraties, cela invite à militer pour une nouvelle alliance autour de trois piliers : américain, européen et asiatique, disposant de leur autonomie stratégique. Cela invite aussi à réhabiliter le leadership, sans lequel les valeurs demeurent virtuelles, et l’éducation, seule à même de transformer les individus en citoyens. Pour l’Union, cela conduit à réviser ses modes de décision et de financement internes face aux démocraties illibérales en les conditionnant au respect de l’État de droit, mais aussi à définir une stratégie beaucoup moins complaisante vis-à-vis du total-capitalisme chinois et des démocratures russe et turque. Pour la France, enfin, il est grand temps de rompre avec la déconstruction de notre histoire et de notre République pour renouer avec la défense de l’universalité des droits de l’homme. Le XXIe siècle donne pleinement raison à André Malraux : on ne fait pas de politique, d’économie ou de stratégie avec de la morale, mais on n’en fait encore moins sans
(Article paru dans Le Point du 2 septembre 2021)