La crise sanitaire a mis à nu les fragilités du continent sud-américain. Les Sud-Américains doivent se mobiliser pour faire barrage à la vague populiste.
L’Amérique Latine a accumulé les décennies perdues, les dictatures et les expériences populistes dans la seconde moitié du XXe siècle, avant de connaître un mouvement de démocratisation et d’émergence à partir des années 1990. Puis elle a pleinement bénéficié dans les deux premières décennies de notre siècle du supercycle des matières premières porté par la Chine, qui est devenue son premier partenaire commercial. Mais l’épidémie de Covid a été le choc de trop.
Le Venezuela est symbolique du chaos qui gagne le continent. Alors qu’il dispose des premières réserves pétrolières du monde et regorge de gaz, d’or, de bauxite, de fer ou de nickel, le pays est livré à une violence extrême et à la loi des gangs qui contrôlent plus de la moitié du territoire. Une onde de violence et de révolte parcourt ainsi le continent.
En Haïti, le chef de l’État, Jovenel Moïse, a été assassiné le 7 juillet par un commando d’anciens militaires colombiens affrété par des affairistes. Au Nicaragua, Daniel Ortega fait régner la terreur et réprime de manière impitoyable opposants et médias pour s’assurer un quatrième mandat.
Simultanément, les peuples se soulèvent. Après le départ de Raul Castro, les Cubains se sont libérés de la peur et ont envahi les rues, le 11 juillet, pour protester contre l’absence de nourriture, de travail et d’argent. Au Brésil, d’immenses foules manifestent pour la destitution de Jair Bolsonaro, qui menace en retour, s’inspirant de Donald Trump, de ne pas organiser les élections de 2022 en raison de pseudo-risques de fraudes liés au vote électronique. Au Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador a perdu le contrôle du tiers du pays livré aux narcotrafiquants.
L’Argentine est en ébullition et affronte le neuvième défaut financier de son histoire alors que l’inflation atteint 45 % et que 42 % de la population a basculé dans la pauvreté. La tension ne retombe pas en Colombie après le mouvement de protestation contre les hausses d’impôts. Au Chili de même, les protestations contre les hausses de prix débouchent sur une convention constituante à haut risque.
Le brutal décrochage de l’Amérique latine s’explique d’abord par la violence de la crise sanitaire et économique. Le continent a été ravagé par l’épidémie de Covid qui a fait 555 000 morts au Brésil, 240 000 au Mexique, 190 000 au Pérou, 120 000 en Colombie, 105 000 en Argentine. La jeunesse de la population n’a pas suffi à compenser la faiblesse des systèmes et des industries de santé.
Sauf au Chili et en Uruguay, la vaccination affiche un inquiétant retard, notamment au Brésil où 17,5 % seulement des 210 millions d’habitants ont été immunisés en raison de la multiplication des obstacles dressés par Jair Bolsonaro.
Faute de vaccination, l’Amérique latine figure parmi les perdants de la reprise à deux vitesses qui se dessine.
La pandémie a ainsi mis à nu les fragilités structurelles du continent. L’économie demeure dépendante des matières premières, de l’agriculture aux sources d’énergie en passant par les métaux. Le travail informel représente une part très importante de l’activité.
L’explosion de la violence, la corruption endémique et la désintégration de l’ordre public ouvrent de vastes espaces aux pouvoirs autoritaires et aux populistes de droite comme de gauche qui prospèrent sur la ruine des institutions démocratiques et des partis traditionnels.
L’Amérique latine constitue désormais l’épicentre de la vague populiste, les hommes forts appelant à la dictature comme Jair Bolsonaro ayant pour pendant les militants radicaux, sur le modèle de Nicolas Maduro au Venezuela ou d’Evo Morales en Bolivie. Avec pour conséquence le blocage du développement, du fait de la fuite des capitaux et des investisseurs, la fragilisation de la démocratie et le retour des pouvoirs autoritaires.
La stagnation économique et le déclin de la liberté politique en Amérique latine ne constituent pas seulement une tragédie pour ses habitants ; c’est aussi un coup sévère porté aux démocraties, au moment où elles se trouvent engagées dans une grande confrontation avec le total-capitalisme chinois et les démocratures.
Les États-Unis et l’Europe doivent donc se réengager en Amérique latine en mettant massivement des vaccins à la disposition des pays et des populations les plus pauvres, en soutenant la restructuration des dettes publiques et privées, en réamorçant les échanges de biens et de capitaux. Mais l’antidote véritable à la malédiction du mal-développement, de la misère et de l’oppression reste entre les mains des 650 millions de Sud-Américains.
À eux de se mobiliser et de tirer toutes les conséquences de la maxime de Mario Vargas Llosa selon laquelle « un régime civil et représentatif, né d’élections libres, soutenu par la loi et contrôlé par la liberté de la presse, même corrompu et inefficace, sera toujours préférable à une dictature ».
(Chronique parue dans Le Figaro du 2 août 2021)