Face à la montée des risques planétaires, les démocraties doivent contribuer à reconstruire un ordre international compatible avec la liberté.
L’été 2021 débute sous le signe des risques planétaires. La pandémie de Covid continue à déjouer les calculs des scientifiques comme l’action des gouvernants, avec le variant Delta qui déferle en Asie du Sud-Est, en Afrique du Sud et en Europe.
Cette quatrième vague menace la reprise mondiale et accroît la crise des pays émergents, alors que 20 % seulement de la population mondiale est vaccinée et 1 % dans les pays pauvres.
Les inondations dévastatrices en Allemagne, en Belgique et dans le centre de la Chine comme les incendies au Canada et dans l’Ouest américain soulignent la réalité du dérèglement climatique. En dépit de la multiplication des événements extrêmes qui valident les prévisions pessimistes du Giec, le rebond de l’activité lié à la sortie de l’épidémie provoquera de nouveaux records d’émissions en 2022 et 2023, compromettant l’objectif de l’accord de Paris de limiter à 2 °C la hausse des températures d’ici à la fin du siècle.
La révélation des activités d’espionnage des démocraties par des régimes autoritaires via le logiciel Pegasus de la société israélienne NSO s’ajoute à l’explosion des cyberattaques et de la manipulation des opinions favorisées par l’épidémie de Covid pour souligner le nouveau champ de confrontation lié au numérique. États autoritaires et criminels mettent ainsi à profit l’incapacité structurelle des grandes puissances à définir des principes et des normes partagés, dès lors que la technologie constitue le cœur de la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine.
Les vagues migratoires ne peuvent enfin que s’amplifier sous l’effet de la crise humanitaire déclenchée par l’épidémie de Covid dans les pays du Sud, des effets du réchauffement climatique et surtout du renouveau d’une violence extrême – de l’Afghanistan promis au retour des talibans au Venezuela, à Cuba et Haïti en passant par le chaos qui règne au Moyen-Orient et qui gagne l’Afrique de l’Érythrée au Mozambique et de la Libye au nord du Nigeria.
Ces événements intéressent et touchent 7,8 milliards d’hommes, qui ne sont plus prêts à les laisser gérer par 800 millions d’Occidentaux. Alors que les fléaux du mal-développement, du surendettement et de l’absence de liberté touchaient par le passé essentiellement les pays du Sud, les pays du Nord sont en première ligne face à l’épidémie de Covid, au dérèglement climatique, aux cyberattaques et au renouveau des migrations. Or ils montrent une faible résilience face à ces menaces, en raison d’une insuffisance chronique des investissements – la priorité ayant été donnée à la maximisation des profits et de la distribution des revenus financés par l’endettement – , mais aussi de l’accroissement des inégalités, de la division des nations et de l’effondrement de la citoyenneté. Simultanément, le cyber, comme le montre Pegasus, comporte un pouvoir égalisateur et ouvre aux pays pauvres des capacités d’action, de dissuasion et de manipulation inédites.
En bref, les risques augmentent et se mondialisent, quand le système mondial se divise, s’atomise et se polarise.
Face à la montée des risques planétaires, les démocraties ne doivent donc pas seulement se réinventer ; il leur faut contribuer à reconstruire un ordre international compatible avec la liberté. Par la prise de conscience qu’elle a entraînée, l’épidémie de Covid représente ainsi une chance historique qu’il est crucial de ne pas perdre.
Le réengagement des États-Unis dans le système international entrepris par Joe Biden comme le tournant annoncé par la Chine en matière de neutralité carbone constituent des signaux positifs. La décision du G7 de donner 1 milliard de doses de vaccins contre le Covid aux pays pauvres, l’accord intervenu au sein du G20 sur l’instauration d’un taux minimum de l’impôt sur les sociétés et sur l’allocation de 650 milliards de dollars de DTS au sein du FMI destinés en priorité aux émergents représentent des avancées significatives.
Mais leur portée et surtout leur rythme demeurent très insuffisants, qu’il s’agisse de vaccination contre le Covid dont l’objectif devrait être de traiter plus de 60 % de l’humanité avant fin 2022 ou de lutte contre le dérèglement climatique.
La poursuite de la reprise mais surtout l’évolution vers un développement soutenable et l’endiguement de la violence dépendent de la relance de la coopération entre les nations.
Raymond Aron a décrit dès 1960, dans une conférence sur « L’aube de l’histoire universelle », le dilemme de notre siècle : « Jamais les hommes n’ont eu autant de motifs de ne pas s’entretuer. Jamais ils n’ont eu autant de motifs de se sentir associés dans une seule et même entreprise. Je n’en conclus pas que l’âge de l’histoire universelle sera pacifique. Nous le savons, l’homme est un être raisonnable, mais les hommes le sont-ils ? ». Les hommes du XXIe siècle doivent désormais choisir : devenir raisonnables ou bien disparaître.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 juillet 2021)