Sous les déséquilibres structurels du système de retraite pointe le déclassement de l’économie française.
Après avoir euthanasié en 1995 le septennat de Jacques Chirac, le spectre de la réforme des retraites revient hanter le quinquennat d’Emmanuel Macron. En choisissant ce thème, au sortir de l’épidémie de Covid comme après la crise des « gilets jaunes », pour se forger une image de modernisateur et adresser un signal de sérieux budgétaire à l’Union européenne, qui finance 40 des 100 milliards du plan de relance, le président de la République s’est enfermé dans un redoutable piège.
Il se trompe en effet de priorité et court le risque de rejouer au pire moment le psychodrame qui a accompagné son projet chimérique de basculement vers un système par points.
La réforme des retraites est plus que jamais nécessaire pour reprendre le contrôle des finances publiques, à l’heure où la dette publique culmine à 118 % du PIB. Le système mobilise 328 milliards d’euros, soit 13,5 % du PIB, contre 10 % en Allemagne et 8 % dans les pays développés. Il est le plus généreux du monde développé, assurant un départ effectif à 62,7 ans, contre plus de 65 ans dans l’OCDE, et un taux de remplacement du revenu de 60 %.
Il est aussi structurellement déficitaire, entre 0,5 % et 1 % du PIB, car la croissance économique est inférieure au vieillissement de la population. Par ailleurs, il génère d’importantes inégalités. Entre retraités, du fait de la coexistence de 42 régimes, mais aussi entre retraités et actifs.
La solution est simple pour garantir l’équilibre financier, restaurer la justice et améliorer la transparence. Si l’on veut éviter une diminution des pensions, et dès lors que toute hausse des cotisations est exclue en raison de ses effets désastreux sur la croissance et l’emploi, l’âge légal de départ doit progressivement converger vers celui en vigueur dans les pays européens, soit entre 65 et 67 ans, accompagnant la hausse de l’espérance de vie.
Simultanément, le régime des fonctionnaires a vocation à être aligné sur celui des salariés du secteur privé et les régimes spéciaux, supprimés pour les nouveaux entrants.
Pour autant, les retraites constituent un pan majeur du contrat politique et social français. L’évolution du système est par ailleurs déterminée par les mouvements à long terme de la démographie et de l’économie.
La réforme ne peut donc répondre à une logique de communication à visée électorale. L’expérience des autres démocraties rappelle que sa réussite dépend de sa préparation par un vaste débat public et de son inscription dans un projet de modernisation du pays.
Force est de constater que l’urgence continue d’aller à la situation sanitaire et à la reprise économique. La France est sous la menace directe du variant Delta alors que la campagne de vaccination patine. En dépit du boom tiré par la consommation et le déluge de dépenses publiques qui laisse espérer une croissance supérieure à 5 % en 2021, l’activité évolue 2 % en dessous de son niveau de 2019, la compétitivité de notre économique poursuit sa dégradation et le chômage touche 8,4 % des actifs, contre 4,5 % en Allemagne.
La priorité doit donc être donnée à la campagne de vaccination et à la relance de l’économie, avec pour objectif d’atteindre l’immunité collective avant la fin 2021 et le retour au niveau de production de 2019 au début de 2022. L’urgence budgétaire ne va pas aux retraites mais à la réduction du déficit de l’État en 2022 et à l’extinction du déluge d’aides dont certaines ont désormais un rôle négatif, à commencer par le chômage partiel alors que la reprise est menacée par une pénurie de travail.
À plus long terme, l’indispensable équilibre financier du système de retraite comme le désendettement de la France dépendent du relèvement de la croissance potentielle et des gains de productivité. La réforme doit donc être intégrée dans la négociation d’un nouveau pacte économique et social. Avec pour priorité le basculement de la décroissance à crédit vers un modèle fondé sur la production, l’investissement et l’innovation afin d’accélérer la transformation numérique et la transition écologique. Avec pour objectif la réduction des inégalités, notamment entre les générations, qui suppose un formidable effort d’investissement dans le capital humain, à l’image du troisième plan Biden.
Sous les déséquilibres structurels du système de retraite pointe le déclassement de l’économie française. La solution ne réside pas dans l’extension de la bulle des transferts sociaux aux jeunes, sous la forme de revenus garantis sans contrepartie. Elle consiste dans l’adaptation des entreprises et des emplois pour favoriser l’intégration des jeunes et l’activité des seniors. Le plus grand risque pour les retraites comme pour l’économie française réside en définitive dans l’effondrement du système éducatif français, qui s’accélère dans l’indifférence générale.
(Chronique parue dans Le Figaro du 12 juillet 2021)