Le meilleur allié de la croissance et de l’emploi au Nord reste l’éradication de la pauvreté au Sud.
La sortie de crise renforce la partition du monde sur le plan idéologique, avec la guerre froide entre les États-Unis et la Chine, mais aussi sur le plan sanitaire et économique. Au moment où les pays développés, qui représentent 16 % de la population mondiale, se déconfinent, progressent vers l’immunité grâce à la vaccination et connaissent une vive reprise, les pays du Sud sont frappés par une nouvelle vague épidémique et cumulent crise économique et humanitaire.
L’épidémie flambe en Asie, notamment en Indonésie et en Malaisie, en Amérique latine et en Afrique, renforcée par le faible taux de vaccination et par l’hiver, dans l’hémisphère Sud. Elle reste très sous-estimée faute de tests, notamment en Afrique, où l’infection est officiellement limitée à 3 % de la population, mais où les enquêtes épidémiologiques réalisées dans les mégalopoles montrent un taux de contamination compris entre 17 et 23 %.
Face au Covid, les pays émergents bénéficient de la jeunesse de leur population – notamment en Afrique, où les plus de 65 ans représentent moins de 5 % de la population – ainsi que de l’efficacité des mesures de quarantaine et de confinement liées à l’expérience des épidémies de Sras et de Mers en Asie, de Zika en Amérique latine ou du virus Ebola en Afrique. Mais ces atouts restent minces face à la faiblesse des systèmes de santé et à l’accès très limité à la vaccination.
En raison de la persistance de l’épidémie, le Sud reste largement à l’écart de la reprise mondiale.
Alors que l’activité progressera de 5,6 % dans le monde, la croissance sera limitée en 2021 à 2,9 % dans les pays les plus pauvres et à 3,2 % en Afrique. L’inflation ressurgit brutalement, atteignant 5,6 % en avril ; elle touche en particulier les produits agricoles, dont les prix se sont envolés de 37 % en un an.
Il en résulte une crise sociale et humanitaire aiguë, caractérisée par le basculement de 150 millions de personnes dans la grande pauvreté – disposant de moins de 1,9 dollar par jour – , par la paupérisation de la nouvelle classe moyenne et par la déscolarisation de dizaines de millions d’enfants.
Ces évolutions pèseront durablement sur le développement tout en encourageant les mouvements de population, particulièrement en Afrique, dont la population progressera de 1,1 à 2,2 milliards d’habitants d’ici à 2050.
La paupérisation, la baisse de la richesse par habitant et la montée des inégalités provoquent à la fois une généralisation de la violence, un fort recul de l’État de droit et une poussée des pouvoirs autoritaires, à l’image des coups d’État militaire au Myanmar ou au Mali.
Au-delà du cas pathologique du Venezuela, toute l’Amérique latine se trouve emportée par une puissante vague populiste qui implique une nouvelle décennie perdue pour le développement.
L’épidémie de coronavirus pourrait ainsi casser net l’émergence du Sud, qui avait été favorisée par la mondialisation et qui a permis de réduire d’un tiers l’écart entre pays riches et les pays pauvres depuis 1990. Obnubilés par les risques de quatrième vague, les pays développés ont choisi d’ignorer la situation des pays du Sud. Il est pourtant non seulement de leur devoir, mais aussi de leur intérêt de s’en préoccuper. Pour des raisons sanitaires, car la clé de l’éradication du Covid se trouve au Sud. Pour des raisons économiques, car la reprise sera d’autant plus forte qu’elle sera synchronisée.
Pour des raisons géopolitiques, car les pays émergents constituent un enjeu majeur pour endiguer le total-capitalisme chinois et sa volonté de conquérir le leadership mondial avant 2049. Et ce au moment où l’expansionnisme de Pékin rencontre de plus en plus de résistances et où le programme des « nouvelles routes de la soie » est contesté.
La redéfinition de la stratégie des démocraties à l’occasion de la sortie de la pandémie doit donc intégrer une initiative en direction du Sud.
La priorité consiste à mettre à disposition gratuitement et rapidement des vaccins pour traiter 60 % de la population mondiale d’ici à la fin de l’année, ce qui permettrait de contrôler l’épidémie. Cela reste possible, mais passe par une vaste mobilisation puisque 88 millions de doses seulement ont été distribuées par le système Covax à la mi-juin. Il est par ailleurs essentiel de réarrimer le Sud à la reprise mondiale, ce qui passe par la restructuration des dettes publiques et privées ainsi que par la levée de financements tant pour les systèmes de santé et d’éducation que pour les entreprises.
La pandémie nous rappelle que, à l’âge de l’histoire universelle, la prospérité, la sécurité et la santé des pays du Nord dépendent étroitement de celles des pays du Sud. Le meilleur allié de la croissance et de l’emploi au Nord reste l’éradication de la pauvreté au Sud. Le meilleur allié de la stabilisation des classes moyennes et du renouveau de la démocratie au Nord reste le développement du Sud.
(Chronique parue dans Le Figaro du 5 juillet 2021)