La victoire des populismes n’est pas inexorable. Mais les démocraties doivent se réinventer pour ranimer la confiance des citoyens dans la liberté.
Les populismes sont des mouvements protestataires qui, telle une maladie opportuniste, se greffent sur les crises de la démocratie. Opposant la souveraineté du peuple à la liberté, ils exacerbent les passions nationalistes, protectionnistes et xénophobes pour justifier la suppression de l’État de droit et le basculement vers un pouvoir autoritaire confié à un homme fort.
Le krach du capitalisme financier en 2008, en accélérant la déstabilisation de la classe moyenne provoquée par la mondialisation et la révolution numérique, a débouché sur une puissante vague populiste qui a déferlé sur l’Europe et les États-Unis à partir du référendum sur le Brexit et de l’élection de Donald Trump, en 2016. Elle tend aujourd’hui à refluer, alors même que l’épidémie de Covid-19 a porté un nouveau coup aux démocraties occidentales en soulignant les limites de leur capacité de gestion des crises, la fragilité des systèmes de santé et la faible résilience de leurs sociétés.
De manière inattendue, la pandémie a introduit un coin entre les populistes et le peuple. Elle a tout d’abord jeté une lumière crue sur leur incompétence et leur irresponsabilité dans l’exercice du pouvoir. Leur culte de la force et leur déni de la réalité les ont conduits à contester ou à sous-estimer l’épidémie avec des conséquences tragiques. Ainsi en est-il allé de Donald Trump aux États-Unis, de Jair Bolsonaro au Brésil ou de Narendra Modi en Inde.
Simultanément, le modèle de la démocratie libérale a perdu de sa séduction. À la lumière des confinements et des restrictions sanitaires, les citoyens ont pris conscience de la valeur des libertés publiques et des dangers que constituent leur suspension ou leur suppression. La lassitude gagne aussi les opinions devant l’entretien d’un climat de guerre civile permanente et le creusement de divisions supplémentaires au sein de sociétés déchirées par la pandémie et la récession.
Le populisme se trouve ainsi pris en étau entre la pandémie, qui constitue le plus violent rappel au principe de réalité, et le sursaut des peuples démocratiques. Les défaites de Donald Trump et de Benyamin Netanyahou ont montré que les dirigeants populistes n’étaient pas invincibles, tout en soulignant leur refus viscéral du pluralisme et de l’alternance, qui a culminé avec la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Bolsonaro et Modi sont désormais très durement contestés.
En Europe aussi, les peuples sortent de leur apathie et l’Union de sa complaisance. Viktor Orban a commis la provocation de trop en faisant voter le 15 juin une loi qui réprime l’homosexualité en l’assimilant à la pornographie et à la pédophilie. Elle rencontre une forte opposition en Hongrie et lui vaut un sévère rappel à l’ordre de l’Union : 17 pays sur les 27 entendent mettre fin à la longue impunité dont il a bénéficié et rappeler les valeurs fondatrices de l’Union. En Pologne, également, la société civile se dresse contre la multiplication des mesures hostiles à l’homosexualité et à l’immigration. En Slovénie, Janez Jansa, dit le « Maréchal Twitto », émule de Donald Trump et meilleur ami de Viktor Orban, n’a échappé qu’à deux voix près à une motion de défiance le 1er juin et fait face à de puissantes manifestations pour protester contre la corruption de son pouvoir et le foisonnement des lois liberticides. Enfin, l’AfD en Allemagne, la Lega de Matteo Salvini en Italie et le RN de Marine Le Pen en France sont sur la défensive et accumulent les revers électoraux. En bref, les populismes sont aujourd’hui rattrapés par la démonstration de leur incompétence, par le dégagisme qui fit leur succès et par le réveil des citoyens face aux atteintes aux libertés et aux ravages de la guerre culturelle.
Pour autant, la crise populiste est loin d’être terminée. Le potentiel de la protestation électorale reste très élevé. La violence et la complexité du choc sanitaire, économique et politique provoqué par la pandémie renforcent en effet ses vecteurs : la désintégration des classes moyennes ; l’explosion des inégalités ; la montée de la violence ; le repli communautaire et la fracturation des nations ; la défiance envers les institutions et les dirigeants des démocraties.
Le risque d’une deuxième vague de populisme demeure donc très élevé et pourrait prendre un tour encore plus extrême. Et ce d’autant plus qu’il emprunte des habits neufs en prenant le contrôle de partis traditionnels, à l’image des républicains aux États-Unis ou des tories au Royaume-Uni, sur lesquels Donald Trump et Boris Johnson affirment leur emprise. Avec pour conséquence la radicalisation de leurs positions, qu’il s’agisse de la restriction du droit de vote des minorités, qui touche 14 États aux États-Unis ou de la multiplication sans fin des conflits avec l’Union européenne, qui se trouve érigée en principe de gouvernement du Royaume-Uni.
Alors que se dessine la sortie de l’épidémie de Covid, le populisme, plus encore que le total-capitalisme chinois, est le pire ennemi de la démocratie, car il la corrompt de l’intérieur. Son seul antidote efficace réside dans la reconstruction des nations libres. Le trou d’air des populistes ne doit pas conduire au relâchement mais à la mobilisation. À nous de ranimer la promesse de l’égalité des chances en investissant massivement dans l’éducation. À nous de remettre en marche l’État de droit, protection de tous contre l’arbitraire et la violence. À nous de rétablir l’ordre public et de refaire nos nations autour d’un pacte économique, social et citoyen. À nous de renouer la communauté de valeurs et de destin des nations libres. La liberté politique constitue à la fois la principale fragilité de la démocratie et sa seule chance de survie. Saluons donc le sursaut des citoyens face aux démagogues, en espérant qu’il soit durable et qu’il débouche sur leur engagement pour inventer la démocratie du XXIe siècle.
(Article paru dans Le Point du 1er juillet 2021)