Pour Emmanuel Macron plus encore que pour ces prédécesseurs, présider, c’est dépenser.
En application du mantra « quoi qu’il en coûte », la France a engagé 424 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires pour les années 2020 à 2022. Il en résulte une envolée de la dette qui a atteint 118,2 % du PIB. Cette dégradation des finances publiques sans précédent en période de paix est présentée comme une adaptation efficace au nouveau cours de la politique économique dans les pays développés, fondé sur le renouveau des interventions de l’État ainsi que sur le financement illimité des déficits par les banques centrales. Il n’en est rien : l’épidémie de Covid-19 ne marque pas une rupture mais l’accélération d’un modèle économique et social insoutenable, fondé sur l’endettement. Loin d’être dans la norme, la France fait plus que jamais exception au sein des pays développés par son addiction à la dépense publique, qui culmine à 61 % du PIB. Alors même que la reprise s’affirme, avec une croissance estimée à 5 % en France et 4,4 % dans la zone euro, le déficit public augmentera cette année de 9,2 % à 9,4 % du PIB. La hausse des dépenses publiques sera deux fois supérieure aux pertes de richesse sur la période 2020 à 2023. Au prétexte de la relance et d’investissements d’avenir, elles sont affectées majoritairement au fonctionnement courant des administrations à hauteur de plus de 45 milliards par an ou à la renaissance absurde d’activités caduques et ruineuses comme les trains de nuit.
Sous les illusions entretenues autour de l’argent public illimité et gratuit ou de l’affirmation dénuée de sens que la dette Covid n’aurait pas à être remboursée par les Français, pointe une réalité beaucoup plus dure et inquiétante.
La France a totalement perdu le contrôle de ses finances. Elle affichera en 2024 le plus important déficit de la zone euro et ne parviendra pas à le ramener à 3 % au cours de la décennie. L’état actuel des finances publiques prive la France de toute marge de manœuvre pour répondre à un nouveau choc et constitue un risque systémique pour notre pays comme pour la zone euro. Le niveau absolu de la dette est en effet moins important que sa soutenabilité. Elle suppose que les taux d’intérêt restent inférieurs à la croissance nominale.
Or les propos lénifiants tenus par les banques centrales des pays développés ne peuvent masquer le retour de l’inflation. Elle atteindra plus de 5 % cette année aux États-Unis et comporte des éléments structurels, liés notamment à la hausse des salaires. La remontée des taux d’intérêt ne relève donc pas du risque mais de la certitude.
Par ailleurs, la croissance potentielle reste inférieure à 1 % et la compétitivité de notre économie poursuit sa chute.
Comme en 1981, la relance nourrit le déficit commercial qui a atteint 65,2 milliards d’euros en 2020. Les dépenses supplémentaires n’améliorent en rien la croissance car elles abondent en priorité les charges de la fonction publique et les transferts sociaux au lieu d’être investies dans les infrastructures et l’innovation comme aux États-Unis ou en Chine. À preuve, le « Ségur de la santé » ou la réévaluation des rémunérations des enseignants n’ont été accompagnés d’aucune réforme pour inverser l’effondrement du système de soins et de l’Éducation nationale.
À preuve, le chômage partiel n’a été associé à aucune action de formation pour anticiper les reconversions rendues nécessaires par les destructions de postes de travail et continue à indemniser largement 2,7 millions de salariés alors que l’économie française connaît une pénurie d’emplois qui entrave la relance.
La conclusion est sans appel. La France se dirige tout droit vers une situation comparable à celle de l’Italie en 2011, prise en étau entre la remontée des taux d’un côté, la stagnation de l’activité et le chômage structurel de l’autre.
L’épidémie de Covid aboutit en France au renforcement de la mainmise de l’État sur l’économie et la société alors qu’il se dirige vers une situation de défaut.
La seule solution consisterait à mettre la production, le travail et la compétitivité au cœur du nouveau pacte économique social et citoyen que doit nouer notre pays, ce qui passe par une réforme radicale de l’État. Mais la modernisation de l’État constitue l’un des principaux angles morts du quinquennat.
Pour Emmanuel Macron plus encore que pour ces prédécesseurs, présider, c’est dépenser. Dépenser l’argent des autres, c’est-à-dire celui des générations futures ou celui des contribuables européens. Dépenser non pour investir mais pour entretenir des clientèles.
Dépenser non pour la relance mais pour placer l’économie et la société sous le coma artificiel de la dette publique jusqu’à l’élection présidentielle de 2022. Dans les années 1930, interrogé à la fin d’une de ses conférences sur la stratégie pour sortir du trou, Keynes avait répondu : « Cessons d’abord de le creuser. » Emmanuel Macron, lui, a choisi de creuser le trou de plus belle, au risque d’en faire le tombeau d’une France déclassée et ruinée.
(Chronique parue dans Le Figaro du 28 juin 2021)