Les États-Unis ne cherchent plus à changer la donne avec Vladimir Poutine, mais plutôt à instaurer des relations stables.
La tournée européenne de Joe Biden s’est achevée par sa rencontre avec Vladimir Poutine à Genève, dans le cadre idyllique de la Villa La Grange. Après avoir lancé le signal du renouveau de l’Occident au G7, puis du réalignement des États-Unis et de l’Europe face à la Chine, l’objectif du président américain consistait à enclencher une désescalade en renouant le dialogue stratégique avec Moscou.
Le moment est plutôt favorable, au sortir de la crise du Covid et au lendemain de la calamiteuse présidence de Donald Trump, placée sous le signe du chaos stratégique et d’une politique extérieure otage des mouvements d’humeur et des tweets présidentiels.
Face au défi global que représente la Chine de Xi Jinping, les États-Unis restent très affaiblis par la polarisation et la division de la nation. D’où la volonté de concentrer toutes leurs forces sur l’endiguement de la Chine. Avec l’espoir, à terme, de détacher Moscou de Pékin en réalisant la manœuvre symétrique de celle effectuée avec succès par Henry Kissinger et Richard Nixon en 1972 pour diviser le bloc de l’Est en se rapprochant de la Chine.
Par contraste avec la fragilité des États-Unis, la Russie paraît remarquablement stable, tenue d’une main de fer par Vladimir Poutine, qui est arrivé au pouvoir en 1999 et est assuré de pouvoir le conserver jusqu’en 2036. Mais elle est minée par son effondrement démographique, accentué par le désastre sanitaire de l’épidémie de Covid, par une économie fondée sur la rente des hydrocarbures appelée à disparaître, par une société plongée dans l’anomie qui voit 45 % des jeunes souhaiter quitter le pays, par l’échec du pivot vers l’Asie lancé par Vladimir Poutine en 2012.
Il se limite à mettre Moscou dans la main de Pékin, fort d’une population dix fois plus nombreuse et d’une économie douze fois plus riche.
Joe Biden recherchait à Genève non pas une nouvelle donne avec Moscou, mais l’instauration de relations stables et prévisibles. Vladimir Poutine souhaitait la reconnaissance par Washington de la Russie comme troisième grand.
Du côté des États-Unis, le retour à une diplomatie professionnelle et ordonnée a été accompagné de deux signes d’ouverture avec la prolongation du traité New Start pour cinq ans et la levée des sanctions sur le gazoduc North Stream 2. Du côté russe, les 100 000 hommes qui avaient été massés à la frontière orientale de l’Ukraine avaient été rappelés.
La convergence s’est effectuée autour d’un dialogue stratégique qui va porter sur la réduction des arsenaux nucléaires et sur la cybersécurité, ce qui constitue une réelle innovation. Les accords nucléaires sont fondés sur la confiance et la vérification des sites et des missiles, ce qui est impossible dans le domaine cybernétique. La dissuasion nucléaire repose sur la connaissance précise des décideurs, des armes et des conséquences de leur utilisation, toutes choses inconnues dans le cybermonde.
La discussion devra davantage porter sur l’exclusion de certaines cibles – telles que les hôpitaux, les réseaux de transport, la distribution d’énergie ou les systèmes de commandement des armes nucléaires – ou encore le contrôle des monnaies virtuelles utilisés par les cybercriminels pour le versement des rançons. La désescalade a enfin été actée par le retour rapide des ambassadeurs des deux pays à leurs postes respectifs, dont ils avaient été rappelés en mars dernier.
La reprise du dialogue entre États-Unis et Russie est la seule option disponible, entre une confrontation impossible – au demeurant très défavorable à la Russie – et un accord introuvable sur une réelle nouvelle donne. Au-delà de l’interminable liste des conflits entre les deux pays, les principes et les valeurs demeurent en effet irréductiblement antagonistes. La démocratie américaine conçoit la stabilité comme un ordre fondé sur le respect des institutions et du droit international ainsi que des droits de l’homme. La démocrature russe l’entend comme l’autocratie et le pouvoir à vie de Vladimir Poutine à l’intérieur, l’hostilité envers l’Occident et une politique de puissance assise sur la maximisation de son pouvoir de nuisance à l’extérieur.
Le sommet de Genève ne marque donc pas de tournant historique. Il n’en constitue pas moins un succès et une étape importante. Il ouvre la possibilité d’une désescalade entre les deux pays.
Il confirme que les États-Unis disposent de nouveau d’une stratégie cohérente qui donne la priorité à l’endiguement de la Chine et cherche à négocier une architecture de sécurité avec la Russie.
Il est urgent pour l’Europe de définir la place qu’elle entend occuper dans cette amorce de renaissance des démocraties : allié dépendant tout entier des États-Unis ou pôle de puissance disposant d’une capacité de décision et d’action.
(Chronique parue dans Le Figaro du 21 juin 2021)