Les Européens ne doivent pas oublier qu’une part essentielle de leur prospérité, de leur santé et de leur sécurité se joue en Afrique.
Emmanuel Macron s’est rendu à Kigali afin de normaliser les relations de la France avec le Rwanda, devenu l’une des économies les plus dynamiques et l’un des pays clés du continent africain sous la poigne de fer de Paul Kagame. Il a reconnu la responsabilité des autorités politiques françaises et l’aveuglement de François Mitterrand face au génocide des Tutsis, qui a fait plus de 800 000 victimes en 1994. Le bien-fondé de cette réconciliation est incontestable. Pour autant, elle ne doit pas détourner de l’avenir et occulter les défis que l’épidémie de Covid pose à l’Afrique. Au début du XXIe siècle, l’Afrique semblait enfin bien partie pour se développer et s’affirmer comme le nouveau continent émergent.
Durant la décennie 2000, portée par la mondialisation et par la constitution d’une classe moyenne, elle a enregistré une croissance de 5,5 % par an, qui dépassait le rythme d’augmentation de la population. Cette dynamique a résisté au krach de 2008 puisqu’en 2018 l’Afrique affichait une croissance de 3,5 %. Elle a en revanche été frappée de plein fouet par la pandémie.
De prime abord, l’Afrique paraît avoir été relativement préservée par la jeunesse de sa population et la résilience acquise avec le sida ou le virus d’Ebola.
Elle ne compte officiellement que 4,8 millions de cas et 130 000 morts pour 1,2 milliard d’habitants. Mais ces données sont largement sous-estimées et la vulnérabilité du continent aux nouvelles vagues portées par les variants est très élevée. L’Afrique du Sud en témoigne, qui a enregistré 1,65 million de cas et 56 000 décès. De fait, l’Afrique ne dispose ni des politiques de santé, ni des établissements hospitaliers, ni de l’industrie pharmaceutique pour tester, soigner et vacciner sa population.
Il en va de même pour l’économie. En l’absence de tout amortisseur social, 60 millions de personnes ont basculé dans la grande pauvreté, en plus des 425 millions vivant avec moins de 2 dollars par jour. L’Afrique est par ailleurs loin d’être bien positionnée dans la reprise mondiale, très inégale.
Au-delà du choc conjoncturel, l’épidémie de Covid a joué un rôle de révélateur des faiblesses du continent, qui peuvent désormais remettre en cause son décollage : la déliquescence des États et l’insuffisance des systèmes de santé et d’éducation – la déscolarisation de dizaines de millions d’enfants laissant craindre le retour en force de l’analphabétisme ; l’immensité des inégalités et la fragilité de la classe moyenne ; la pénurie d’investissements et le manque d’infrastructures ; l’instabilité politique, la déficience de l’État de droit et le règne de la corruption. A contrario, la pandémie a souligné, comme en Asie ou en Europe, que les pays qui affichent les meilleures performances sanitaires et économiques sont ceux qui disposent d’une gouvernance fiable et d’une structure de production diversifiée, tels le Maroc, le Togo, le Ghana ou le Rwanda.
L’Afrique se trouve donc à un tournant. Et l’orientation qu’elle prendra pèsera sur le cours du XXIe siècle. Elle constitue en effet, pour le monde et plus encore pour l’Europe, un enjeu déterminant en termes de démographie (elle comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 et 4,5 milliards en 2100), de développement, de lutte contre le réchauffement climatique et de sécurité.
La sortie progressive de l’épidémie doit dès lors être accompagnée d’une stratégie globale de soutien au décollage qui ne peut se limiter à la lutte antiterroriste et au contrôle des flux migratoires – même s’ils sont indispensables. Avec cinq priorités :
- La mise à disposition massive de vaccins contre le Covid ;
- La mobilisation de financements, notamment sous forme de droits de tirage spéciaux du FMI, pour alimenter la reprise en ciblant les infrastructures et les entreprises privées ;
- Le renforcement des systèmes d’éducation et de santé ;
- La restructuration des dettes publiques et privées ;
- L’ouverture des frontières et la mise en place effective de la zone de libre-échange continentale pour créer un grand marché de 1,2 milliard de personnes.
La pandémie a brutalement rappelé que le XXIe siècle sera dominé par les risques planétaires et qu’hommes, nations et continents n’ont jamais été aussi interdépendants. À l’heure de la nouvelle guerre froide qui se dessine entre les États-Unis et la Chine ainsi que du regain des tensions avec les démocratures russe et turque, les Européens ne doivent pas oublier qu’une part essentielle de leur prospérité, de leur santé et de leur sécurité se joue en Afrique. Et qu’il serait parfaitement irresponsable de l’abandonner aux virus, à la misère, à la violence et à la Chine.
(Chronique parue dans Le Figaro du 31 mai 2021)