La pandémie a mis au jour les déséquilibres et la fragilité des métropoles, et l’essor du télétravail a accéléré l’exode vers les villes moyennes.
Les métropoles ont structuré la mondialisation, formant un réseau de villes-mondes qui concentraient les hommes, les richesses, les services à haute valeur ajoutée, les technologies, les connaissances et les pouvoirs. Elles étaient fondées sur le principe de la mobilité, assurée par les systèmes de transports collectifs ainsi que des réseaux aériens, maritimes et numériques qui gouvernaient des chaînes de valeur démesurément étendues. Elles impulsaient et profitaient de la polarisation des revenus et des emplois, des talents et des entreprises, des centres de décision et de l’espace, avec pour contrepartie une hausse vertigineuse des prix de l’immobilier.
La pandémie de Covid-19 a fracassé et renversé ce modèle. Les métropoles ont été frappées de plein fouet par l’épidémie, les restrictions sanitaires, la crise des services et la chute de la mobilité. Les confinements ont provoqué l’exode des plus aisés tandis que les plus pauvres étaient assignés à résidence. La généralisation du télétravail a vidé les quartiers d’affaires – de Manhattan à la Défense, en passant par la City.
Au total, l’épidémie a servi de révélateur en mettant au jour les déséquilibres et la fragilité des métropoles : bulles immobilières, risques sanitaires, insoutenabilité écologique et vulnérabilité face au réchauffement climatique, polarisation de l’espace et ghettoïsation, exiguïté des logements et temps de transport démesurés, divergence explosive des revenus et des fortunes, perte de contrôle de l’ordre public.
La France, qui fait souvent exception, n’a pas échappé au mouvement de métropolisation. Au cours des dernières décennies ont émergé une quinzaine de grandes agglomérations, connectées entre elles comme avec le monde. Elles occupent 5 % du territoire, mais rassemblent 40 % de la population, génèrent plus de 50 % de la production nationale et absorbent 55 % de la masse salariale.
La métropolisation a remis en question le monopole de Paris dans le rayonnement international. Mais elle a aussi produit de nouveaux déséquilibres. L’inflation de la bulle immobilière et le tourisme de masse ont chassé les Parisiens de leur ville. Le développement de certaines métropoles s’est effectué autour d’une fragile mono-industrie et au prix de la désertification de leur arrière-pays, à l’image de Toulouse avec l’aéronautique. La gentrification a exclu des pans entiers de la population, rejetés à la périphérie comme à Bordeaux, contribuant à expliquer la violence du mouvement des Gilets jaunes.
L’épidémie s’est engouffrée dans ce grand malaise. Le choc inouï des confinements a durablement modifié les comportements et les mentalités. Paris s’est vidée de 20 % de ses habitants au printemps 2020. Avec le déconfinement s’est affirmé un boom des maisons individuelles avec jardin et des résidences secondaires, qui se transforment en résidence semi-principale et intègrent une pièce de bureau connecté.
Dès lors, les métropoles ont connu un brutal trou d’air. L’Île-de-France a perdu 16 milliards d’euros du seul fait de l’effondrement du tourisme en 2020. Toulouse s’est arrêtée en même temps que la construction et le transport aériens. Par contraste, les villes moyennes diversifiées ont bien mieux résisté.
Il en résulte une double ruée vers l’ouest et vers les villes moyennes. Paris perd 20 000 habitants par an tandis que l’agglomération de Rennes en gagne 9 500. Les talents et les diplômés, les activités et les emplois basculent vers le littoral, de la Normandie au Pays basque, en passant par la Bretagne. Ces régions offrent en effet la mer, l’espace et l’accès à la nature, la qualité de vie et une moindre insécurité, d’excellentes infrastructures et des établissements scolaires performants – souvent privés –, des circuits courts de consommation, enfin.…
Ce mouvement de rééquilibrage du territoire est salutaire et peut contribuer à un développement plus soutenable tant sur le plan géographique que sur le plan social. Mais à plusieurs conditions. Tout d’abord, les métropoles restent les fers de lance de notre pays dans la mondialisation qui se restructure en blocs régionaux : il est vital qu’elles se réinventent et se redéveloppent après l’épidémie, ce qui est incompatible avec les stratégies malthusiennes, la dynamique de paupérisation et le refus des technologies qui dominent aujourd’hui et qui pourraient leur donner le coup de grâce. Ensuite, la nouvelle répartition des Français sur le territoire doit être activement soutenue et accompagnée par l’État, notamment en termes de formation et d’innovation, d’infrastructures numériques et d’aide à la mobilité durable. Elle constitue de ce fait un pan majeur du nouveau pacte économique, social et démocratique qui doit fonder la reconstruction de la France.
(Article paru dans Le Point du 13 mai 2021)