Le défi chinois reste idéologique, mais il est aussi devenu économique et technologique. Les démocraties doivent s’allier pour l’endiguer.
La Chine s’apprête à célébrer le centenaire du Parti communiste, fondé le 23 juillet 1921 à Shanghai. Interrompue par la menace d’une intervention de la police de la concession française, la réunion rassemblait 13 délégués, dont Mao Zedong, sous le contrôle de Sneevliet et Nikolsky, représentants du Komintern. La nébuleuse de groupes révolutionnaires se transforma au fil des ans en véritable Parti communiste. Puis la guerre civile contre les nationalistes du Kuomintang, suspendue par la guerre avec le Japon, s’acheva par la victoire du PCC et la proclamation le 1er octobre 1949 de la République populaire de Chine.
Après avoir restauré la souveraineté de la Chine et l’avoir portée au deuxième rang des économies, le PCC vise pour elle le leadership mondial à l’horizon de 2049. Et ce en maintenant son statut de parti unique et la nature totalitaire du régime, renforcés par Xi Jinping, qui rappelait en septembre 2020 lors du 75e anniversaire de la victoire contre le Japon : « Le peuple chinois ne permettra jamais à un individu ou à une force de déformer l’histoire du parti ou de calomnier la nature et la mission du parti. Le peuple chinois ne permettra jamais à un individu ou à une force de séparer le PCC du peuple chinois ou d’opposer le PCC au peuple chinois. »
Le centenaire du PCC verra ainsi sanctifier la figure de Xi Jinping comme héritier de Mao Zedong et de Deng Xiaoping. La commémoration d’un passé mythifié sera associée à la glorification du présent, autour de la victoire sur la pandémie de Covid-19, de la vigueur de la reprise (croissance de 9 % en 2021), de l’exaltation de l’unité nationale. Avec pour point d’application la reprise en main de Hongkong, l’annexion de la mer de Chine du Sud et les pressions sur Taïwan. Avec pour levier de puissance la technologie, symbolisée par la mise en orbite de la station Palais céleste et par l’ordinateur quantique Jiuzhang.
La trajectoire de la Chine depuis 1949, et plus encore depuis 1979, est unique dans l’Histoire. Le défi qu’elle lance aux États-Unis est global. Contrairement à l’Union soviétique, il n’est pas qu’idéologique et stratégique, il est aussi économique et technologique. La Chine est certes le rival des États-Unis mais aussi leur premier partenaire industriel, commercial et financier ; elle est un État totalitaire mais aussi un acteur majeur de la mondialisation, présent, intégré et connecté sur tous les continents.
Cependant, sous la propagande pointent les doutes. Si elle devait un jour être établie, la responsabilité de la pandémie, notamment sur la possible implication de l’institut de virologie de Wuhan, ruinerait la réputation du pays. Le vaccin Sinopharm se révèle dénué d’efficacité thérapeutique. L’espérance de vie progresse, mais la population a diminué en 2020, passant sous 1,4 milliard de personnes, après une population active qui régresse de 0,4 % par an depuis 2013. Le modèle de croissance à crédit bute sur la dette publique et privée qui représente plus de trois fois la richesse nationale. La volonté de devenir la première puissance économique et technologique se heurte à la sous-productivité des entreprises d’État, à l’absence d’État de droit, au retour en force du parti dans les entreprises et les universités, à la frustration d’une classe moyenne privée de tout droit politique. La tension croît entre la priorité au marché intérieur et le programme des nouvelles routes de la soie destiné à exporter le modèle total capitaliste et à encercler les États-Unis. La réaffirmation de l’idéologie communiste est contradictoire avec l’explosion des inégalités comme avec la corruption endémique des responsables du parti. Enfin, l’extrême agressivité de la politique extérieure a engendré une coalition de pays décidés à l’endiguer, particulièrement en Asie.
En réalité, le miracle chinois est moins dû au PCC qu’à la vitalité et à la résilience des Chinois. Or l’emprise du parti sur l’économie et la société pourrait les étouffer. Par ailleurs, l’histoire de la République populaire a été très heurtée, marquée par sa fulgurante émergence depuis 1979 mais aussi par les tragédies du « grand bond en avant » et de la « révolution culturelle ». Et ces tournants sont indissociables des rapports de force au sein du PCC, divisé depuis toujours entre idéologues de Pékin et réformateurs de Shanghai. Avec Xi Jinping l’a emporté la ligne dure, mais sa volonté de restaurer un pouvoir à vie de type maoïste, qui doit être validée par le congrès de 2022, continue à susciter des réserves.
Pour les démocraties, le centenaire du PCC doit être l’occasion d’élaborer une stratégie d’endiguement de la Chine. Autour d’idées cohérentes :
- Contrairement aux illusions longtemps entretenues par l’Occident, la Chine n’est pas un régime autoritaire mais un État totalitaire qui poursuit l’éradication de la liberté à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.
- Les moyens de puissance qu’elle a accumulés ne peuvent être contenus que par une nouvelle alliance des démocraties, qui ne soit pas limitée à l’Occident.
- Face à la menace chinoise, les démocraties doivent, comme elles le firent au cours de la guerre froide gagnée contre l’Union soviétique, appliquer la doctrine de Sun Tzu selon laquelle les victoires les plus éclatantes viennent couronner les guerres que l’on a su ne pas livrer.
(Article paru dans Le Point du 6 mai 2021)