Par un étonnant paradoxe, l’Europe, qui possédait un leadership mondial dans cette énergie « propre », se désengage massivement.
Plus encore que les pandémies, le réchauffement climatique figure au premier rang des risques globaux du XXIe siècle. Le respect de l’objectif fixé par l’accord de Paris de limiter à 2 °C au maximum la hausse de la température d’ici à 2100 est impératif. Il est indissociable de la décarbonation rapide des économies, qui se trouve désormais au cœur de la nouvelle guerre froide entre la Chine – qui entend atteindre la neutralité carbone en 2060 – et les États-Unis, où Joe Biden a annoncé un plan d’investissement de 3 000 milliards de dollars en faveur des infrastructures et de la lutte contre le réchauffement climatique.
L’énergie, qui constitue la première source des émissions de carbone, joue un rôle central. Du Giec à l’AIE, chacun s’accorde sur le fait que la solution passe par l’électricité décarbonée, qui repose sur la production hydraulique, sur le développement accéléré des renouvelables fondé sur le solaire et l’éolien, mais aussi sur le nucléaire, qui devrait générer au minimum 11 % de l’électricité mondiale en 2050. L’électricité nucléaire présente le triple avantage d’être décarbonée, flexible et pilotable, ce qui en fait le complément idéal des renouvelables et un atout décisif pour la sécurité des systèmes électriques.
Pour ces raisons, l’industrie nucléaire reste très dynamique dans le monde. Mais son centre de gravité s’est déplacé. La Chine et la Russie ont installé les deux tiers des nouvelles capacités depuis 2000, alors que les trois quarts l’avaient été en Amérique du Nord et en Europe dans les trois dernières décennies du XXe siècle. Paradoxalement, l’Europe, qui possédait un leadership mondial, se désengage massivement du nucléaire. La France, quant à elle, reste dans une situation unique : elle possède le plus grand parc nucléaire d’Europe, qui assure la production de 71 % de son électricité. Décarbonée à 90 %, celle-ci s’élève à 470 térawattheures (TWh), contre 900 TWh pour le pétrole et 450 TWh pour le gaz. Or l’État entend augmenter la part de l’électricité à 50 % du mix énergétique en 2050, tout en plafonnant le nucléaire à moins de la moitié de la production à partir de 2035, à travers la fermeture de quatorze centrales et l’accélération des renouvelables. Simultanément ont été suspendues, pour des motifs électoraux, toutes les décisions portant sur le renouvellement du parc, comme celles concernant son financement.
Le choix de la France, qui devra être tranché au plus tard lors du prochain quinquennat, est clair : la planification d’une nouvelle génération de centrales nucléaires ou le renoncement aux objectifs de l’accord de Paris. Cependant, le débat reste occulté par la démagogie qui interdit d’examiner les faits. Tout d’abord, la demande d’électricité reste aussi sous-estimée, autour de 630 TWh en 2050, que la part des renouvelables est surestimée. Et ce grâce à un pari hasardeux sur la diminution et sur la flexibilité de la consommation des ménages et des entreprises. En réalité, le recours accru à l’électricité pour la décarbonation des usages actuels des hydrocarbures ou pour les carburants de synthèse à base d’hydrogène aboutit à estimer la demande entre 730 et 850 TWh à la moitié du siècle. Ensuite, la puissance requise en période de pointe devrait progresser de 90 à plus de 130 gigawatts. Enfin, les retards s’accumulent en matière de renouvelables en raison des réticences de la population fondées sur leur impact environnemental, particulièrement négatif pour l’éolien terrestre, et des problèmes techniques créés pour le réseau, dont la stabilité est menacée.
Mais il faut planifier le renouvellement du parc nucléaire civil, et ce autour de cinq priorités :
- L’extension de la durée de vie des centrales actuelles jusqu’à 60 ans ;
- Le lancement d’une nouvelle génération standardisée de réacteurs ;
- Le soutien de l’innovation dans les réacteurs modulaires, les réacteurs de quatrième génération en circuit quasi fermé, la fusion nucléaire étudiée par Iter à Cadarache ;
- Le sauvetage d’EDF qui se trouve en défaut virtuel face à un double mur d’investissements et de dettes (42,5 milliards d’euros à fin 2020) ;
- Et enfin, sur le plan européen, le classement du nucléaire parmi les secteurs réduisant les émissions de carbone éligibles aux investissements du fonds de relance comme aux financements verts.
Il n’y aura pas de décarbonation de l’économie sans une forte augmentation de la production et de la consommation d’électricité. Et il n’y aura pas d’électricité décarbonée sans un ambitieux programme nucléaire. Au lieu de le nier, débattons-en de manière transparente, en France comme en Europe.
(Article paru dans Le Point du 1er avril 2021)