La modernisation de la psychiatrie en France est un impératif de santé publique.
L’épidémie de Covid-19 a jeté une lumière crue sur la fragilité du système de santé français. Simultanément, les confinements et les mesures de restriction des libertés ont créé des dommages psychosociaux considérables, notamment chez les jeunes, qui ont souligné la situation d’abandon de la psychiatrie en France. Il est désormais urgent de remédier à cet angle mort de la politique de santé car si la première vague de la pandémie en 2020 fut hospitalière, si la deuxième vague en 2021 est économique et sociale avec la montée inéluctable des faillites et des chômeurs, la troisième vague sera psychiatrique. Depuis le printemps 2020, la prévalence des troubles mentaux a doublé en France, touchant en particulier 29 % des jeunes de 15 à 24 ans. Pire, un Français sur cinq a songé à se suicider.
Pour la psychiatrie comme pour notre système de santé, la crise liée au Covid-19 joue le rôle de révélateur et d’accélérateur, plus qu’elle ne marque une rupture. Avant l’épidémie, un Français sur cinq souffrait de pathologies mentales. Or 40 à 60 % des malades seulement sont pris en charge. Huit à dix ans s’écoulent en moyenne entre les premiers symptômes et le dépistage des troubles. Et le défaut de soins est systématique envers les personnes en grande précarité, qu’il s’agisse des SDF, des migrants ou des détenus.
Les conséquences de cette faillite sont très lourdes pour la nation. En termes de santé publique, l’espérance de vie des malades est réduite de 10 à 20 ans, notamment du fait des suicides (10 000 suicides et 220 000 tentatives par an).
Du point de vue de l’État de droit, l’insuffisance de la prévention et de la prise en charge se traduit par un recours disproportionné aux mesures de privation de liberté, d’isolement ou de contention, qui portent atteinte à la dignité des malades.
La psychiatrie française reste victime de la peur qu’inspirent les troubles mentaux, de la stigmatisation des malades et de leurs proches, de la conviction erronée qu’ils ne peuvent être soignés alors que 67 % des personnes atteintes de dépression guérissent.
Elle souffre d’abord de l’insuffisance chronique, de la médiocre qualité, de l’hétérogénéité et des inégalités territoriales de l’offre de soins.
La psychiatrie ne compte ainsi que 2,4 % des professeurs d’université pour 5,8 % des étudiants tandis que médecins comme infirmiers sont insuffisamment formés.
Cette situation est inacceptable à la lumière de l’épidémie de Covid-19, mais aussi des défis majeurs que constituent le vieillissement démographique, l’économie de la connaissance, la place du cerveau dans la médecine du XXIe siècle. Elle est pour le moins paradoxale au regard du rôle de la France dans la naissance et le développement de la psychiatrie – de Philippe Pinel qui l’inventa en 1791 aux travaux de Jean-Martin Charcot sur le système nerveux ou à la découverte par Henri Laborit des premiers neuroleptiques et anxiolytiques en passant par la création d’établissements spécialisés dans chaque département par Esquirol au XIXe siècle. La psychiatrie doit aujourd’hui, tout comme hier la cancérologie, être érigée en une grande cause nationale et faire l’objet d’une refondation radicale. Et ce autour de six priorités.
La lutte contre la stigmatisation des malades et de leurs proches, tout d’abord : il est essentiel de déployer un effort de pédagogie de l’opinion pour faire évoluer l’image des maladies mentales et rappeler qu’elles peuvent être prévenues et soignées. La formation, à travers une meilleure intégration aux cursus médicaux et une spécialisation des soignants, notamment pour la prise en charge des enfants et des adolescents. La prévention, qui doit être systématisée, notamment chez les jeunes. La réorganisation des soins autour du décloisonnement et de la coopération entre psychiatrie, médecine de ville, infirmiers et psychologues mais aussi d’une association étroite des proches, souvent ignorés voire tenus en suspicion. La flexibilité du financement, en rupture avec le budget global qui fige les institutions et les pratiques et constitue une arme de destruction massive de l’innovation. L’investissement dans l’innovation et la recherche publique et privée enfin. Les dépenses publiques en santé mentale sont limitées à moins de 4 % du budget de la recherche médicale contre 7 % au Royaume-Uni et 16 % aux États-Unis – et ce alors que le retour sur investissement, estimé à 37 %, est l’un des plus élevés du champ médical.
La modernisation de la psychiatrie en France ne répond pas seulement à un impératif de santé publique mais à l’urgence de renforcer la résilience de la nation face aux chocs propres au XXIe siècle. Au triptyque « ignorer, reléguer et neutraliser », nous devons substituer le triptyque « prévenir, traiter et guérir ».
(Chronique parue dans Le Figaro du 1er mars 2021)