La démesure du plan Biden créerait de sérieux risques pour l’économie américaine.
L’acquittement de Donald Trump à l’issue de son second procès en destitution marque le véritable début de la présidence de Joe Biden. Après avoir infirmé les décisions les plus controversées de son prédécesseur, il doit mettre en œuvre son programme pour réconcilier l’Amérique avec elle-même et avec le monde. Son cœur est formé par le plan de relance géant de 1 900 milliards de dollars, dont la réussite ou l’échec détermineront le destin de son administration.
S’ajoutant aux 900 milliards de dollars mobilisés par Donald Trump en décembre dernier, le plan Biden porte à 14 % du PIB le soutien budgétaire de l’activité aux États-Unis en 2021, soit un niveau sans précédent en période de paix. Il comporte trois grands blocs de mesures consacrées à la lutte contre l’épidémie et à la santé, au financement des États et des municipalités, enfin et surtout aux ménages sous la forme d’un chèque de 1 400 dollars pour chaque Américain et d’un salaire minimum horaire porté à 15 dollars.
L’objectif est double. Sur le plan économique, la relance vise à restaurer le plein-emploi alors que le taux de chômage, qui était limité à 3,5 % de la population active fin 2019, atteint 6,3 % officiellement mais serait plus proche de 10 %, selon Jay Powell, le président de la Fed. Avec la conviction qu’il faut agir vite et fort pour éviter les erreurs du Japon, enfermé dans la stag-déflation depuis le début des années 1990, ou de Barack Obama, dont le plan de 800 milliards de dollars en 2009 se révéla insuffisant. Sur le plan politique, l’ambition est de rendre espoir aux Américains, de stabiliser la classe moyenne en apportant une réponse concrète aux difficultés des ménages, dont 40 % connaissent des fins de mois difficiles, d’enrayer ainsi l’atomisation et la polarisation de la société et de la nation qui ont fait le succès de Donald Trump.
Le plan Biden suscite cependant de vives critiques au sein même du parti des démocrates, exposées publiquement par Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Barack Obama. Sa démesure créerait en effet de sérieux risques pour l’économie américaine.
La première difficulté provient de l’ampleur du soutien budgétaire, qui représente 3 à 5 fois le déficit de production provoqué par l’épidémie de Covid-19 et qui s’ajoute aux quelque 3 000 milliards de dollars injectés par la Fed dans le circuit économique. Ceci ne peut manquer de déboucher sur une surchauffe de l’activité, notamment lorsque les mesures sanitaires seront levées. Et ce d’autant, deuxième problème, que la priorité est donnée à la distribution de pouvoir d’achat et à la consommation des ménages, et non pas aux investissements indispensables pour reconstruire le système productif : l’éducation, les infrastructures et la transition écologique. Les fonds et le capital politique investis dans le plan de relance sacrifient ainsi les réformes fondamentales au clientélisme électoral. En troisième lieu, l’efficacité des aides financières directes aux ménages est douteuse, puisque 30 % seulement du montant des premiers chèques de 1 200 dollars versés par l’Administration Trump ont été dépensés en biens de consommation, le reste étant épargné, affecté au désendettement, voire consacré à la spéculation, comme l’a montré l’affaire GameStop. Dès lors, le plan de relance pourrait conforter les inégalités et les bulles, comme on le constate dans l’immobilier – en hausse de 10 % – ou sur les marchés financiers, qui alignent les records.
Ultime argument, l’inflation pourrait renaître. Certes, l’augmentation des prix est contenue à 1,4 % et la résistance de la mondialisation comme la révolution numérique exercent des pressions déflationnistes. Mais l’offre de monnaie a progressé de 75 % dans le monde développé en 2020 quand la production a diminué de plus de 5 %, et l’on observe une envolée du cours des matières premières, de l’énergie – notamment du pétrole – et des produits agricoles (hausse de 25 % des céréales et de 90 % des huiles végétales en six mois). La réouverture des économies pourrait entraîner un boom et amorcer une spirale inflationniste, ce qui obligerait les banques centrales à relever leurs taux d’intérêt au prix d’un krach obligataire et de défauts en chaîne des États et des entreprises surendettés. La relance, par sa démesure, accoucherait alors d’une violente récession.
Ces critiques méritent d’autant plus d’être entendues que l’échec de la relance aux États-Unis déstabiliserait économiquement mais aussi politiquement toutes les démocraties.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 février 2021)