Notre démocratie est-elle en train de défaillir ? C’est la question posée par Alexandre Devecchio et Victor Rouart à Nicolas Baverez et Natacha Polony.
Natacha Polony – Il faut se garder de termes excessifs, ce terme de « dictature sanitaire » est employé à mon avis à tort et à travers. En revanche, les experts, en particulier médicaux, ont été placés dans une position qui ne devrait pas être la leur du point de vue démocratique. Ils l’ont été par des gouvernants qui n’assument plus leur rôle. Le comité scientifique a servi de caution à un pouvoir qui jouait sur la peur pour maîtriser les populations. Et même dans les moments de pause de l’épidémie, la représentation nationale n’a pas été associée aux choix stratégiques. Pire, le gouvernement, les gouvernements des pays occidentaux, se sont enfermés dans le court terme, par peur des chiffres de contamination égrenés chaque soir à la télévision, au lieu de jouer leur rôle qui est de penser le long terme.
Poser le problème en opposant l’économie et la vie, c’est ne pas comprendre que l’activité économique détermine la vie des gens, leur possibilité de s’épanouir, d’agir. Nous sommes en train d’éradiquer toute une part de la civilisation française en faisant disparaître certains métiers et domaines d’activité ou en les fragilisant. C’est une modification majeure du visage même de la France. Une fois ce constat posé, la question est : est-ce que cette situation reflète un déséquilibre plus profond ? Je pense que c’est le cas. Emmanuel Macron a abusé de tout ce qui pouvait servir à contourner le jeu démocratique. Mais ce n’est que l’aboutissement d’une dérive plus lointaine. Une des spécificités de la France face à la crise sanitaire est d’ordre institutionnel. Les institutions de la Ve République ont été progressivement déséquilibrées par les pratiques autant que par les révisions constitutionnelles. La République est, bien sûr, différente des démocraties libérales que l’on trouve ailleurs, mais ces déséquilibres en accentuent jusqu’à la caricature la dimension moins démocratique.
Nicolas Baverez – L’épidémie de Covid a soumis les démocraties à de très fortes tensions. Partout les institutions représentatives ont souffert des restrictions aux libertés fondamentales à la suite des confinements, couvre-feux et autres mesures sanitaires. Mais, au sein des démocraties, la France continue à faire figure d’exception. La Ve République a été créée comme un régime illibéral mais démocratique et conçu pour la gestion des crises. Au fil des révisions, elle est restée illibérale mais a perdu de son caractère démocratique et surtout est devenue de plus en plus inefficace pour faire face aux chocs de l’Histoire. La démocratie est fondée sur la souveraineté du peuple qui s’incarne dans le suffrage universel, sur l’État de droit et sur un état d’esprit mêlant modération…