La découverte et le déploiement des vaccins donnent une première image des nouveaux rapports de force mondiaux.
L’épidémie de Covid-19 est la matrice du XXIe siècle. Elle redessine la hiérarchie des continents et des nations en fonction de leur gestion de la crise sanitaire et économique. La découverte et le déploiement des vaccins donnent une première image des nouveaux rapports de force mondiaux.
Tout comme l’épidémie, la mobilisation pour découvrir un vaccin a été universelle, ce qui explique la mise au point de plusieurs formules efficaces en moins de un an. Mais les résultats sont aussi inégaux que la résilience des nations, sans recouper cependant la performance des systèmes sanitaires pour maîtriser le virus. Cinq pays sortent en tête : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Chine et la Russie. Tous appartiennent au monde développé ; quatre sont des membres permanents du conseil de sécurité ; trois sont des démocraties et deux des démocratures. La même hétérogénéité s’observe pour la vaccination. La palme revient à Israël qui a déjà traité 58 % de la population, très largement devant le Royaume-Uni (15 %), les États-Unis (10 %), l’Allemagne (3 %) et la France (2,3 %).
Les États-Unis et le Royaume-Uni présentent nombre de points communs. Les dirigeants populistes qui se trouvaient à leur tête, Donald Trump et Boris Johnson, ont sous-estimé la menace du Covid. Mais tous deux ont compris très tôt que le vaccin était la seule solution et ont massivement financé non seulement les recherches mais les capacités de production et la logistique des laboratoires. Dès le 2 mars 2020, Donald Trump a créé l’Organisation Warp Speed associant militaires et spécialistes de l’investissement dans les vaccins, qui a été dotée de 10 milliards de dollars, en mai, avec pour objectif de disposer de 300 millions de doses au début de 2021. Au même moment, Boris Johnson organisait le rapprochement entre AstraZeneca et l’Université d’Oxford puis créait en avril une task force qui a consacré 1,9 milliard de livres à l’achat par anticipation de vaccins, ainsi qu’au financement complet des frais de recherche et des lignes de production sur le territoire britannique.
L’attitude de la Chine vis-à-vis des vaccins s’inscrit dans la droite ligne de sa gestion de l’épidémie, placée sous le signe de l’opacité et de l’autoritarisme. Pékin a annoncé la découverte et mis sur le marché deux vaccins, CoronaVac et Sinopharm, tout en se refusant à publier le résultat des essais cliniques. La promesse de leur déploiement rapide, y compris dans le monde émergent, participe de l’effort de propagande de Pékin pour tenter de faire oublier sa responsabilité dans la naissance et la diffusion de la pandémie.
La surprise est venue du vaccin russe Spoutnik V. Rompant avec une longue absence de données cliniques, l’étude publiée par The Lancet a montré une efficacité dans 91,6 % des cas, proche des performances de Pfizer/BioNTech (95,1 %) et Moderna (94,5 %).
L’Union européenne demeure un cas singulier par son retard, alors même que le laboratoire allemand BioNTech a joué un rôle pionnier dans la technologie de l’ARN messager. Sa lenteur s’explique par les atermoiements des États qui n’ont décidé que le 17 juin 2020 de confier à la Commission l’achat des doses. Sans expérience de la gestion de crise, celle-ci s’est enfermée dans sa culture de la norme, négociant sans fin prix et partage des responsabilités sans se préoccuper ni de production ni de logistique.
Si l’Allemagne se trouve prise en otage par son choix de la solidarité européenne, la France est durement confrontée à la réalité de son déclassement industriel et scientifique. Elle est le seul des grands pays développés et des membres permanents du Conseil de sécurité à ne pas disposer de vaccin national, du fait du double échec de Sanofi et de l’Institut Pasteur. L’État a superbement ignoré l’existence de Valneva, PME nantaise qui s’apprête à livrer 100 millions de doses au Royaume-Uni qui a intégralement financé le triplement des capacités de son usine de Livingston en Écosse. Les retards accumulés conduisent à tabler sur la vaccination de 40 % de la population d’ici à la fin de l’été et non pas de tous les Français qui le souhaitent.
Les leçons qui émergent sont claires. Les États conservent un rôle central dans la gestion des crises complexes du XXIe siècle, mais à la double condition de savoir prendre des risques et de travailler avec les entreprises. L’efficacité des politiques publiques dépend du soin apporté aux problèmes opérationnels d’exécution. Il n’est pas de souveraineté ni de résilience des nations sans une industrie et une recherche dynamiques. La science et la technologie constituent des facteurs de puissance clés. La France est un pays schizophrène qui possède le plus rare des atouts avec ses chercheurs et ses entrepreneurs mais qui les exporte, faute de réformer un système politique et un modèle économique et social qui la conduisent méthodiquement à la ruine.
(Chronique parue dans Le Figaro du 8 février 2021)