Les jeunes sont les grands sacrifiés de la gestion de l’épidémie de Covid-19. Ce sont eux qui supporteront le vrai prix de la crise.
Selon un proverbe arabe, « deux choses ne s’apprécient bien que quand on ne les a plus : la santé et la jeunesse ». En 2020, la France a perdu la santé en se montrant incapable de maîtriser l’épidémie de Covid-19. En 2021, elle est en passe de perdre sa jeunesse.
De même que la pandémie a brutalement ouvert les yeux des Français sur la dégradation de leur système de santé, qu’ils pensaient à tort l’un des meilleurs du monde, elle a dessillé ceux des jeunes en faisant la vérité sur l’effondrement du système éducatif et de la valeur de ses diplômes. L’arrêt des établissements scolaires durant le premier confinement puis la généralisation de l’enseignement à distance, notamment à l’université, ont provoqué une déscolarisation et une désocialisation de masse. Les inégalités sociales et territoriales se sont formidablement creusées. La meilleure illustration est fournie par la poursuite de l’activité des classes préparatoires aux grandes écoles – qui ne recrutent que 5 % d’enfants issus de familles défavorisées – alors que le basculement des universités vers l’enseignement à distance a provoqué le décrochage des deux tiers des étudiants de première année. Les stages et les embauches ont aussi été largement suspendus, ce qui a porté le taux de chômage des jeunes à 22,1 %, contre 17,7 % dans l’UE et 18,4 % dans la zone euro.
La jeunesse, largement préservée de l’épidémie, se trouve ainsi surexposée à la crise éducative, économique et sociale. Les dommages psychosociaux se font déjà jour, avec la multiplication des situations de détresse liées à l’isolement et à l’arrêt des emplois étudiants, des cas de dépression, des tentatives de suicide. Force est de reconnaître que l’avenir est lourdement compromis pour une génération qui devra tenter d’entrer sur le marché du travail alors que des secteurs entiers de l’économie sont à l’arrêt et durablement sinistrés – hôtellerie et restauration, tourisme et événementiel, culture et sport –, alors que les faillites et les plans sociaux vont se multiplier avec le retrait inéluctable des aides publiques. Les perspectives à moyen terme n’apportent aucun réconfort puisque la jeunesse de France aura pour tout héritage un système d’éducation et de santé naufragé, un appareil productif déclassé et amputé, un lourd passif environnemental, le fardeau d’une dette publique et privée insoutenable (120 % du PIB pour l’État et 160 % du PIB pour les entreprises à fin 2020), la restriction durable des libertés avec l’installation d’un état d’urgence permanent.
L’abandon par la France de sa jeunesse constitue une terrible erreur. La démographie, dont la vitalité demeurait encore un atout dans la première décennie du siècle, s’est retournée avec la chute du nombre des naissances à 740 000 en 2020, soit un taux de fécondité de 1,84 enfant par femme, contre 2,1 en 2006. La chute des compétences sur le marché du travail (18 % des personnes employées ne disposent pas de la qualification correspondant à leur poste) constitue une exception française. Le deuxième rapport du Conseil national de productivité montre qu’elle constitue la première cause du ralentissement de la croissance et du manque de compétitivité des entreprises. Le risque est désormais pour notre pays de connaître une évolution comparable à celle de l’Italie, où 2 millions de jeunes, notamment les diplômés, ont fait le choix de l’exil depuis 2008.
L’indifférence affichée par Emmanuel Macron et son gouvernement envers la jeunesse et l’université n’en est que plus inexplicable. Loin de répondre à la gravité de la situation, l’annonce de repas à 1 euro ou l’appel à des psychologues pour assister les étudiants appliquent un cautère sur une jambe de bois, en se contentant de déverser des aides sociales aussi coûteuses qu’inadaptées au lieu de traiter les racines du mal.…
Il est grand temps de cesser de considérer la jeunesse et l’université comme une génération et un secteur d’activité non essentiels. Comme les collégiens, les lycéens ou les élèves des classes préparatoires, les étudiants ont d’abord besoin d’assister à des cours, de bénéficier d’un enseignement qui n’est efficace et n’a de sens que s’il est délivré de près, de voir leur travail et leurs connaissances sanctionnés par des diplômes qui ne soient pas des chiffons de papier. L’argent public doit donc être investi en priorité dans la reprise de l’enseignement qui, en dehors des activités de recherche, ne peut s’effectuer à distance, grâce à l’aménagement de l’espace dont les universités ne manquent pas et de l’organisation des cours. La bureaucratie de l’Éducation nationale et des universités doit cesser de travailler à la fermeture des établissements pour se mobiliser en faveur d’une réouverture rapide et compatible avec les règles sanitaires qu’impose une épidémie destinée à durer. Enfin, une flexibilité maximale doit être introduite pour les stages et l’apprentissage, et des aides à l’embauche des jeunes instituées pour les entreprises dans le cadre du plan de relance.
Dans l’économie de la connaissance, le premier facteur de productivité est le capital humain. Le saccage de la jeunesse est le plus sûr moyen de le détruire. Notre jeunesse a moins besoin de psychologues et de repas subventionnés que de cours, de diplômes reconnus et de travail, en bref d’un avenir. Au lieu d’être infantilisée et marginalisée, elle devrait occuper une place centrale dans le nouveau contrat social indispensable à la reconstruction de la France.
(Article paru dans Le Point du 28 janvier 2021)