Le pays de Pasteur ne doit pas rater l’étape cruciale de la vaccination de masse, préalable indispensable à la reprise économique.
Seule la vaccination peut mettre un terme à l’épidémie de Covid-19, en l’absence d’un traitement efficace. Mais sa mise en œuvre prendra du temps et l’OMS a souligné qu’il était vain d’espérer l’immunité collective en 2021. La permanence de l’épidémie aura naturellement d’importantes conséquences sanitaires, augmentant le nombre des victimes et imposant la poursuite de mesures restrictives de plus en plus difficilement supportées par les populations. Mais les dommages économiques et sociaux ne sont pas moindres, avec le risque d’effondrement des secteurs mis à l’arrêt, la multiplication des faillites, des chômeurs et des dettes. Surtout, les séquelles psychosociales vont croître de manière exponentielle, notamment pour les plus déshérités, les précaires et les jeunes dont les études et l’entrée dans la vie active sont compromises.
Il est donc vital de rétablir rapidement la vie économique et sociale sur fond d’une épidémie qui sera longue. Et notamment de permettre le redémarrage des secteurs les plus touchés, dont le blocage entrave la reprise et menace la croissance potentielle, du fait de la multiplication des entreprises et des emplois zombis ainsi que d’un endettement public et privé hors de tout contrôle. Par ailleurs, comme le montre l’Asie, la relance sera inégale et se concentrera sur les pays qui seront parvenus à rouvrir les premiers tout en assurant la sécurité sanitaire. Parmi les pays développés, la France est particulièrement exposée à un risque d’effondrement en raison de la défaillance de l’État dans la lutte contre l’épidémie, mais aussi de l’amputation de 10 % de sa production résultant de la déstabilisation de ses pôles d’excellence : l’aéronautique ; le tourisme, dont les pertes s’élèvent à 61 milliards d’euros du fait de la baisse de 56 % des visiteurs étrangers ; l’hôtellerie et la restauration, l’événementiel et la culture, qui sont désormais au bord du krach.
La priorité consiste naturellement à accélérer la vaccination à tous les stades : homologation, production, distribution, administration. Mais elle ne permettra pas la reprise de l’économie, et notamment des secteurs sinistrés, si elle n’est pas accompagnée de la mise en place rapide d’un passeport vaccinal. Il fait pourtant l’objet d’un feu roulant de critiques, surtout de la part des autorités françaises.
Les contestations du passeport vaccinal se concentrent sur son inefficacité, son caractère inégalitaire et son atteinte aux libertés et à l’éthique. Aucune ne résiste à l’examen.
- Le passeport vaccinal n’est pas un passeport immunitaire, puisque les connaissances actuelles ne permettent pas d’affirmer que les vaccins contre le Covid empêchent sa transmission. Destiné à permettre la réouverture d’activités clés comme les voyages d’affaires ou le tourisme, le sport ou la culture, il n’enlève rien à l’obligation de respecter les normes sanitaires en vigueur, en particulier les gestes barrières et le port du masque. À l’inverse, il apporte à tous une sécurité essentielle en permettant de certifier les institutions, les laboratoires et les vaccins fiables.
- Le principe d’égalité impose un traitement égal à condition égale. Il est parfaitement compatible avec le fait de subordonner l’accès de certains services à la vaccination, ce qui est déjà le cas en France pour l’inscription des enfants dans les crèches ou les écoles ou pour la fièvre jaune dans certains pays.
- Du point de vue des libertés, la mise en place d’un passeport vaccinal est infiniment moins pénalisante que le confinement à répétition de l’ensemble de la population, la mort programmée de secteurs économiques entiers ou le basculement dans la pauvreté et l’anomie d’une partie des citoyens, notamment des jeunes.
- Au plan éthique, le passeport vaccinal n’instaure pas de discrimination, de privilège ou d’obligation cachée de se vacciner : il établit les conditions sanitaires de la continuité de la vie nationale en conditionnant l’accès à certaines activités exposées mais non essentielles aux personnes vaccinées qui protègent les autres tout en se protégeant ; il crée une incitation salutaire pour les citoyens à se faire vacciner et pour les pouvoirs publics à accélérer la vaccination.
Le passeport vaccinal est donc un instrument rationnel, efficace et compatible avec les libertés fondamentales, qui se révèle indispensable à la sortie de l’épidémie. D’où la multiplication des projets dans le monde, de l’application uni-verselle, décentralisée et personnalisée Travel Pass développée par l’IATA qui fédère 290 compagnies aériennes assurant 80 % du trafic aérien dans le monde, au passeport vert en Israël. Voilà pourquoi l’Union doit, sous le contrôle des Parlements, débattre au plus vite de la création d’un passeport vaccinal européen sous la forme d’une application digitale assurant la protection des données personnelles. Voilà pourquoi la France, dont la sortie de crise en dépend, doit prendre la tête du combat pour le passeport vaccinal. Et ce tout en garantissant un accès universel, rapide et gratuit au vaccin.
La mise en place d’un passeport vaccinal constitue une étape indispensable pour passer du confinement au rétablissement de la vie économique et sociale, de la peur à la liberté. La France, qui a enchaîné les échecs et les retards en matière de gels, de masques, de tests puis de campagne de vaccination, ne peut s’offrir le luxe d’un nouveau fiasco. Il serait d’autant plus paradoxal que le passeport et le vaccin sont tous deux des inventions de notre pays. Le premier fut mis en place par Louis XIV pour servir de sauf-conduit aux voyageurs et contrôler les déplacements dans le cadre de sa stratégie mercantiliste, avant d’être rendu obligatoire par la Révolution française désireuse d’affirmer la souveraineté nationale ; le second fut découvert par Louis Pasteur en 1880 et expérimenté par lui avec succès en 1885. Si la France veut se redresser, il est plus que temps que ses dirigeants cessent de célébrer tout ce qui la ruine et de condamner tout ce qui pourrait la sauver. À défaut de disposer d’un vaccin français, travaillons donc à la création et au déploiement rapide d’un passeport vaccinal européen !
(Article paru dans Le Point du 21 janvier 2021)