Le bilan de la présidence allemande de l’Union européenne est impressionnant, du Brexit à l’accord signé en décembre avec la Chine.
L’accord conclu entre l’Union européenne et la Chine le 30 décembre pour faciliter l’accès des investissements européens au marché chinois parachève le succès de la présidence allemande à la tête des Vingt-Sept. Ses enjeux étaient vitaux, au moment où l’Europe était prise sous le feu croisé de l’épidémie de Covid-19 et d’une récession historique, du Brexit et de la contestation de ses valeurs par les démocraties illibérales de l’est du continent, des coups de boutoir de Donald Trump et des menaces des démocratures. Le risque était réel que l’urgence sanitaire accapare toutes les énergies, occulte les enjeux décisifs et engendre une corona-présidence.
Le défi était donc majeur tant pour l’Allemagne, qui doit exercer seule le leadership de l’Union en raison du déclassement de la France, que pour Angela Merkel, qui, à un an de son départ du pouvoir, avait une dernière occasion de laisser sa marque dans la construction de l’Europe. Force est de constater qu’il a été superbement relevé, même si Berlin et la chancelière ne se sont pas départis de leur légendaire modestie à l’heure de dresser le bilan de leur action.
Au cœur de la terrible année 2020, l’Union s’est transformée en affirmant sa solidarité à l’intérieur et sa souveraineté à l’extérieur.
Lourdement frappée et dépassée à l’origine par la crise sanitaire, l’Union s’est ressaisie. Elle n’a certes pu prévenir la seconde vague de l’épidémie ni coordonner les mesures nationales de reconfinement ou de fermeture des frontières. Mais elle a pris la direction de la négociation avec les laboratoires pharmaceutiques pour sécuriser et organiser l’approvisionnement en vaccins, retissant ainsi un lien direct avec les citoyens.
Surtout, le plan de relance de 750 milliards d’euros a été définitivement approuvé par les États comme par le Parlement, en même temps que le budget pour la période 2021 à 2027 d’un montant de 1 074 milliards d’euros. Ce plan constitue une véritable révolution par son ampleur et sa nature (360 milliards de prêts, 312 milliards de subventions, 78 milliards d’abondement des programmes d’investissement prévus au budget), par son financement via des emprunts de l’Union, par sa rapidité de mise en œuvre (70 % des versements intervenant en 2021 et 2022), par ses priorités axées sur la numérisation et la transition écologique ainsi que par la condition liée au respect de l’État de droit. Dans le même temps, la coordination entre le budget de l’Union et la politique monétaire de la BCE a été renforcée et l’accent placé sur le numérique et l’écologie accompagné par la régulation des plateformes digitales et par l’engagement de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
La présidence allemande a simultanément réussi à conclure in extremis un accord sur le Brexit sans céder au coup de bluff du Royaume-Uni, qui avait beaucoup plus à perdre que les Vingt-Sept d’une séparation sans accord. Finalement, les intérêts économiques européens sont préservés et l’accès des entreprises britanniques au grand marché reste subordonné au respect des normes et des règles de l’Union ; auparavant, Londres avait dû renoncer à ses velléités de remettre en cause l’accord de séparation au risque de rallumer la guerre civile en Irlande du Nord. Aujourd’hui, le problème du Brexit est derrière l’Union ; il reste devant le Royaume-Uni.
Sur le plan mondial, la présidence allemande a engagé le repositionnement de l’Union en posant les jalons de son autonomie stratégique. Elle a su résister à l’entreprise de déstabilisation conduite par Donald Trump. En signant un accord sur la protection des investissements avec la Chine sans renoncer à la défense des droits de l’homme, elle a témoigné de sa capacité à développer une stratégie propre vis-à-vis de Pékin tout comme de sa volonté de défendre ses valeurs face au total-capitalisme chinois. Enfin, des sanctions ont été adoptées contre la Biélorussie – où de nombreux cas de tortures sont avérés sur les quelque 30 000 manifestants emprisonnés – et la Turquie qui a multiplié les coups de force en violation du droit international – de la Libye au Haut-Karabakh en passant par la Méditerranée orientale.
Le bilan de la présidence allemande est impressionnant, même si ses réalisations en matière de défense et d’immigration restent limitées. La crise sanitaire a servi de révélateur à la divergence entre les trois principales puissances européennes. Le Royaume-Uni s’est enfermé dans les mensonges du Brexit, qui se résume à beaucoup de bruit pour rien. La France a non seulement perdu le contrôle de l’épidémie, de son économie et de l’ordre public mais creusé la défiance entre les citoyens et les gouvernants. Démosthène rappelait que « les paroles qui ne sont suivies d’aucun effet sont comptées pour rien ». Espérons que 2021 amorce le redressement de la France. Pour cela, il faut que la parole publique cesse de jurer avec les faits et les mots d’Emmanuel Macron avec les choses.
(Chronique parue dans Le Figaro du 04 janvier 2021)