L’invention d’une nouvelle donne en 2021 peut se nourrir des signaux positifs apparus au milieu de la pandémie.
L’année 2020, placée sous le signe d’une pandémie et d’une récession historiques, restera comme un temps de catastrophe. Elle a jeté une lumière crue sur l’extrême vulnérabilité des démocraties.
L’Occident s’est révélé incapable de maîtriser la pandémie, comme il a perdu le contrôle de l’ordre mondial avec les guerres enlisées et perdues et celui du capitalisme avec le krach de 2008. Mais les moments de plus grand danger sont aussi ceux où l’espoir peut renaître. L’année 2021 doit être moins celle d’une relance que d’une reconstruction.
L’heure n’est pas au retour vers le passé pour réactiver le capitalisme de rente et de bulles, sanctuariser la polarisation des sociétés et la désintégration des classes moyennes, encourager les passions collectives. La priorité doit aller à l’invention d’une nouvelle donne. Or celle-ci peut se nourrir des signaux positifs qui sont apparus au milieu des calamités.
La mondialisation a fait preuve d’une étonnante résistance. Elle s’est restructurée autour de blocs régionaux mais ne s’est pas effondrée, contrairement à la désintégration des échanges et des paiements dans les années 1930.
Les chaînes de valeurs complexes se sont remises en marche. Le commerce maritime est reparti. En dépit de l’exacerbation des tensions internationales sous l’effet de la nouvelle guerre froide qui oppose les États-Unis et la Chine, la mobilisation de la communauté scientifique a permis des progrès majeurs dans la prise en charge des malades et surtout la découverte d’un vaccin efficace contre le Covid-19 en moins d’un an – exploit sans précédent dans l’histoire de la médecine.
Face à un choc d’une nature et d’une ampleur inédites, la politique économique a réagi avec une force et une rapidité exceptionnelles, mobilisant dans les pays développés quelque 20 000 milliards de dollars en quelques semaines pour réassurer la chute de l’activité, de l’emploi et des revenus. Simultanément, les deux révolutions déterminantes pour le capitalisme du XXIe siècle, à savoir la révolution numérique et la transition écologique, ont vivement progressé.
L’accélération de la numérisation des activités a souligné la nécessité d’une régulation des plateformes et de leur réintégration dans l’État de droit.
Parallèlement à la chute de 7 % des émissions de gaz à effet de serre, les mesures de confinement ont fait émerger des modes d’organisation du travail et de consommation plus respectueux de l’environnement – du télétravail aux circuits courts -, montrant qu’il est possible de concilier performance économique et transition écologique.
Au moment où la liberté se trouvait réduite et contestée au nom de l’impératif de la sécurité, la démocratie est loin d’avoir disparu. Parmi les pays qui ont le mieux réagi à la crise sanitaire et économique, figurent nombre de nations libres. Ils soulignent que le respect des libertés individuelles et de l’État de droit est parfaitement compatible avec la sécurité des citoyens, un État performant, une industrie forte, une innovation dynamique.
Malgré la pression extrême exercée par Donald Trump, la démocratie américaine a tenu bon. Le vote des 538 grands électeurs, le 14 décembre, a acté la victoire de Joe Biden en dépit du refus obstiné de son adversaire de concéder sa défaite.
L’universalité et l’autorité du suffrage universel ont résisté à la tentative de coup de force du président sortant. Les juges ont fait primer le respect du droit sur les attaches partisanes. Les chefs militaires ont maintenu les forces armées à l’écart du jeu politique. Au total, l’édifice constitutionnel et le système électoral complexes imaginés au XVIIIe siècle par les Pères fondateurs de la démocratie américaine se sont révélés efficaces pour protéger les libertés et contenir les passions collectives au XXIe siècle.
Longtemps passive face à la multiplication des chocs, l’Europe s’est enfin réveillée. Face à la pandémie, l’Union a adopté un plan de relance de 750 milliards qui donne naissance à une Europe économique. Elle affirme sa souveraineté technologique en se faisant le pionnier de la régulation numérique. Elle a réagi à la multiplication des agressions de la démocrature turque en décidant une première batterie de sanctions contre les responsables des forages illégaux en Méditerranée.
Les leçons pour la reconstruction du capitalisme et de la démocratie sont claires. La sortie de crise s’effectuera par une mondialisation régulée et non par la démondialisation. Les risques planétaires ne peuvent être gérés que par le renouveau de la coopération internationale. Les contre-pouvoirs, la décentralisation des décisions mais surtout la vertu des citoyens et le courage des responsables publics demeurent les garants ultimes de la liberté. Périclès rappelait à juste titre que « ce ne sont pas les pierres mais les hommes qui constituent le meilleur rempart des Cités ».
(Chronique parue dans Le Figaro du 21 décembre 2020)