Le repli des États-Unis, la fracture de la nation et la polarisation constituent des réalités pérennes qui inspireront une partie de la classe politique.
L’élection inattendue de Donald Trump en 2016 marqua un tournant historique pour les États-Unis comme pour le monde. L’Amérique renoua avec le protectionnisme, le nationalisme et l’isolationnisme, enterrant le cycle de la mondialisation libérale qui avait été profondément ébranlé par le krach de 2008. L’élection de 2020 et la victoire annoncée de Joe Biden – qui reste contestée par Donald Trump devant les tribunaux – sont grosses de malentendus et peuvent nourrir de dangereuses illusions sur le retour à l’Amérique de 1945, la fin du populisme ou la résistance de la démocratie.
Le mandat de Donald Trump a jeté une lumière crue sur la véritable nature du populisme. Il a eu le mérite d’alerter sur la paupérisation des classes moyennes des pays développés, sur les ravages de la désindustrialisation ou sur la menace de la Chine, sans leur apporter toutefois de véritable réponse. Il a surtout miné les fondements de la démocratie en affichant son mépris pour la Constitution, en cherchant à politiser toutes les institutions – de la justice aux armées en passant par la FED – et en entretenant un climat de guerre civile. La campagne électorale a souligné l’ambiguïté des dirigeants populistes vis-à-vis de la souveraineté du peuple exercée par le vote, dont ils ne cessent de se réclamer et de vanter la primauté mais qu’ils ne reconnaissent que pour autant qu’elle leur est favorable.
La chute de Donald Trump souligne également les liens pervers qui l’unissaient aux dirigeants des États autoritaires qui érigent la démocratie en ennemi. Xi Jinping, Vladimir Poutine, Recep Erdogan ou Mohammed Ben Salman ont conscience d’avoir perdu leur meilleur allié, dont les foucades et les incohérences discréditaient la liberté et légitimaient les démocratures.
En perdant leur parrain, ils risquent de se trouver de plus en plus en concurrence et en opposition. Au sein des démocraties, les dirigeants populistes, déjà affaiblis par leur gestion calamiteuse de l’épidémie et de la récession, se trouvent isolés.
Pour autant, la défaite de Donald Trump est toute relative. Il a rassemblé plus de 71,5 millions de suffrages, ce qui prouve la profondeur de son enracinement dans le corps politique et social américain.
Il a été moins battu par Joe Biden que par l’épidémie, contre laquelle se sont fracassés son déni de la réalité et sa démagogie.
On peut mentir impunément aux électeurs, mais pas au Covid. Le trumpisme survivra néanmoins à Donald Trump et pèsera durablement sur l’Amérique : le protectionnisme, le repli national, la fracture de la nation et la polarisation constituent des réalités pérennes qui inspireront une partie de la classe politique.
Donald Trump n’est donc ni une parenthèse, ni un accident. Son élection fut une conséquence et non pas la cause de la crise existentielle de la démocratie américaine. Sa défaite constitue un revers majeur pour le populisme, mais certainement pas sa fin. Les mutations fondamentales dont il est le produit subsistent et se trouvent même amplifiées par la crise sanitaire et économique, qu’il s’agisse de la désintégration des classes moyennes, du chômage de masse et des inégalités, du ressentiment et de la polarisation, de la montée de l’insécurité et de la tentation de la violence, de la défiance envers les dirigeants et les institutions démocratiques. La deuxième vague est donc tout aussi inéluctable pour le populisme que pour l’épidémie de Covid-19.
L’heure n’est donc pas à la célébration d’une improbable victoire de la démocratie mais à l’action pour la réinventer.
Pour les États-Unis, cela exige de Joe Biden et de Kamala Harris qu’ils mettent rapidement en place une stratégie nationale efficace de lutte contre l’épidémie, condition pour la relance de l’économie, et surtout qu’ils engagent la réconciliation d’une nation déchirée. Pour les Européens, cela implique de ne pas interrompre la construction d’une Europe plus autonome.
Pour l’ensemble des démocraties, cela invite à reconstruire un Occident élargi aux nations libres d’Asie pour endiguer l’expansionnisme chinois, mais surtout à traiter les pathologies qui ont rendu possible l’élection de Donald Trump et peuvent amener demain ses émules au pouvoir.
Avec quatre priorités. La reconstruction de la communauté des citoyens autour d’un projet national partagé. La décentralisation des institutions et l’association des acteurs économiques et sociaux comme des citoyens aux politiques publiques. La réhabilitation du capitalisme de production et d’innovation au détriment des rentes – ce qui passe notamment par la régulation du secteur numérique et le démantèlement des Gafam. Un formidable investissement dans l’éducation, qui constitue la principale ligne de clivage entre les électeurs populistes et démocrates. C’est dans le cœur de chaque citoyen que doit être désarmée la tentation du ressentiment, de la colère et de la violence. Et cette responsabilité a pour préalable l’éducation à la liberté, au respect de l’État de droit, au débat entre opinions contraires et à la modération.
(Chronique parue dans Le Figaro du 16 novembre 2020)