À force de s’étendre et de confondre politiques et dépenses, l’État français a perdu sa légitimité et son efficacité.
La France affronte aujourd’hui une conjonction de crises sans précédent depuis les années 1930. Or comme dans l’entre-deux-guerres, elle en a perdu le contrôle. Cette fois-ci non pas en raison de l’instabilité politique née du parlementarisme mais du fait de la dérive d’un État qui démultiplie les risques qu’il est censé réassurer. Reconfinement et couvre-feu actent la faillite de l’État face au Covid-19. Avec plus de 40 000 morts, la France reste incapable de maîtriser l’épidémie faute d’une mise en œuvre effective de la seule stratégie efficace, « tester, tracer, isoler, soigner ». Tests rapides et groupés, outils numériques, isolement contrôlé et lits de réanimation continuent de faire défaut, ne laissant pas d’autre choix que le yoyo infernal de l’ouverture et de la fermeture de l’économie et de la société au gré des vagues du virus.
Le reconfinement porte le coup de grâce à notre économie. La récession dépassera 11 % du PIB en 2020 et limitera son rebond en 2021 à 5 % contre 8 % prévu par le projet de loi de finances.
Affaibli par le mouvement des « gilets jaunes » puis les grèves contre le système des retraites, l’appareil de production sera amputé de 10 % de son potentiel et de plus d’un million d’emplois du fait de la ruine de pôles d’excellence vitaux : hôtellerie et restauration, tourisme, culture, loisirs. Avec pour conséquence l’installation d’un chômage structurel et l’accroissement de la pauvreté.
Perte de contrôle de la crise financière. Au nom du « quoi qu’il en coûte », le déficit et la dette publics atteindront 11,5 % et 120 % du PIB à la fin de 2020.
La dépense publique culminera à 65 % du PIB et restera à un haut niveau très élevé alors que la base fiscale va fondre avec la baisse durable de la production des entreprises et des revenus des ménages. Dès que la BCE cessera d’acheter la totalité des titres émis, la dette française se révélera insoutenable.
L’explosion de la délinquance et la multiplication des attentats islamistes illustrent le changement de niveau et d’intensité de la violence ainsi que l’incapacité de l’État à assurer la paix civile sur le territoire national au moment où des pans entiers de la société s’enfoncent dans l’anomie ou basculent dans la révolte.
Les autres démocraties sont certes touchées par certains de ces chocs, notamment par l’épidémie et par la récession. Certaines affichent des performances encore plus médiocres dans des domaines spécifiques, qu’il s’agisse des États-Unis sur le plan sanitaire ou du Royaume-Uni sur le plan économique. Mais la France fait exception tant par le cumul des menaces que par l’incapacité des gouvernants à leur répondre. Et ce en raison d’un État qui se révèle incapable d’assurer la sécurité des citoyens alors qu’il mobilisait avant même l’épidémie 56 % du PIB.
L’écart n’a cessé de se creuser entre la posture jupitérienne d’Emmanuel Macron et ses échecs à répétition dans la gestion des crises, du mouvement des « gilets jaunes » à l’épidémie en passant par le terrorisme islamiste. Au-delà de son désintérêt pour les missions régaliennes de l’État, sa stratégie du « en même temps » s’est révélée délétère. Redoutablement efficace sur le plan électoral, elle est incompatible avec le gouvernement d’une démocratie par gros temps, qui exige d’élaborer et d’appliquer une ligne claire, cohérente et lisible. Face à l’épidémie comme à la relance ou à la violence, les mots n’ont cessé de jurer avec les faits et les actes ; les changements de cap incessants sont allés de pair avec la rigidité des mesures ; le mépris envers les citoyens tenus pour irresponsables a fait pendant à l’autoritarisme.
Le mal est cependant plus profond et tient à l’État, qui, à force de s’étendre et de confondre politiques et dépenses, a perdu sa légitimité et son efficacité.
L’épidémie de Covid-19 a été un test impitoyable qui a mis en évidence le manque d’anticipation et d’adaptation, l’incapacité à coordonner l’action des ministères, des collectivités et des entreprises, le retard numérique, la faillite opérationnelle des grands appareils publics.
Il ne fait pas de doute qu’un État fort et efficace est indispensable pour répondre aux secousses et aux risques du XXIe siècle, comme l’ont montré les démocraties qui ont maîtrisé l’épidémie de Covid-19 et endigué la récession.
Mais il doit prendre en compte la nouvelle donne qui le place sous le signe de l’incertitude, de la volatilité et de la complexité, aux antipodes du modèle centralisé, rigide et fermé propre à la technocratie française.
Notre État doit être profondément réformé. Et ce autour de cinq priorités : recentrage autour des missions régaliennes mais aussi de l’éducation et de la santé avec un objectif de hausse de la qualité plutôt que de gratuité généralisée ; décentralisation de l’organisation ; frugalité et maîtrise des dépenses ; réorientation des budgets vers l’investissement et la formation plutôt que vers l’envolée sans fin des effectifs ; coopération avec les collectivités et les acteurs économiques et sociaux.
L’État est aujourd’hui le problème et les Français la solution. Ils doivent reprendre confiance en eux-mêmes : ils disposent d’infiniment plus de lumière et de sagesse que le chef d’un État surendetté, obèse et impuissant.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 novembre 2020)