La Chine sera la seule économie majeure en croissance en 2020.
Par un étonnant paradoxe, la Chine figure parmi les grands gagnants de la pandémie de Covid-19 qui est née sur son sol avant de gagner la planète. Alors que les États-Unis subissent un « Pearl Harbor sanitaire » avec 225 000 morts et que l’Europe se reconfine partiellement, la vie a repris son cours à Wuhan, qui symbolise la victoire de Pékin sur l’épidémie. La Chine sera la seule économie majeure en croissance en 2020 (1,9%), tandis que les États-Unis et la zone euro s’enfoncent dans une récession historique à hauteur de 4,5 % et 8,5 %.
Mieux, la reprise chinoise paraît solide. Tous les moteurs de la croissance ont en effet redémarré. Les exportations sont reparties en flèche et ont vu leurs parts de marché atteindre 25 % des ventes des vingt plus grands exportateurs mondiaux, en raison de l’explosion de la demande pour les protections et les matériels médicaux du fait de l’épidémie, pour les ordinateurs et téléphones du fait du confinement, pour le logement et la décoration du fait des politiques de relance.
Sous la résilience de la croissance chinoise pointe une transformation profonde du modèle économique.
En, 2009, la Chine avait déployé un plan de relance de 13 % du PIB pour soutenir l’activité mondiale ; en 2020, les mesures de soutien sont centrées sur l’offre et la consommation intérieures, dans le contexte d’une économie de guerre contre les États-Unis. Avec quatre réorientations.
- La fermeture du marché chinois à l’Occident, qui se traduit par la surveillance renforcée des entreprises et des investissements étrangers ainsi que par le contrôle des exportations sensibles au nom de la sécurité nationale.
- La construction d’une vaste sphère commerciale et monétaire sous influence de Pékin à travers les « nouvelles routes de la soie », et l’utilisation des cryptomonnaies.
- La course à l’indépendance technologique pour répondre aux sanctions américaines, avec pour grand dessin la construction d’un internet chinois découplé des États-Unis.
- La conquête du leadership de la transition écologique avec l’objectif de réaliser la neutralité carbone en 2060.
Dans sa grande confrontation avec les États-Unis, Xi Jinping vise désormais la passe de quatre en faisant la démonstration que le total-capitalisme chinois est plus efficace que la démocratie pour gérer les risques de krach financier comme en 2008, pour maîtriser la pandémie et assurer la sécurité sanitaire, pour assurer une croissance intensive et stable, pour conduire la transition écologique enfin.
À l’intérieur, le durcissement idéologique et politique du régime est sensible et s’illustre par la surveillance numérique renforcée de la population, la répression de toute forme de dissidence, l’internement d’un million de Ouïgours et la mise au pas de Hongkong – où la suspension de l’État de droit va de pair avec la mise à l’écart du territoire au profit de Shenzhen comme centre de l’intégration économique de l’Asie du Sud-Est.
À l’extérieur, la Chine multiplie les épreuves de force avec Taïwan, avec tous ses voisins asiatiques autour de l’annexion de la mer de Chine du Sud, avec l’Inde à travers les affrontements armés dans la région du Ladakh. Enfin, la Chine poursuit méthodiquement l’encerclement des démocraties occidentales en confortant son alliance avec les émergents grâce aux investissements des « nouvelles routes de la soie », à ses financements par les accords de swaps entre banques centrales ou par la dette, à sa diplomatie sanitaire fondée sur l’envoi de protection et de matériel médical, prenant à revers la calamiteuse stratégie America First de Donald Trump.
Pour autant, la Chine de Xi Jinping reste très loin d’avoir remporté son pari, exposé lors du XIXe congrès du Parti communiste, de conquérir le leadership du monde d’ici à 2049. L’épidémie a souligné et aggravé le dualisme d’un pays à la pointe des technologies mais très archaïque dans certains aspects de ses modes de vie et très peu sûr dans l’organisation de la production. Les inégalités ont fortement augmenté tout comme le chômage, qui demeure largement masqué.
Le total-capitalisme de Pékin repose plus que jamais sur la peur et a fait la démonstration de sa culture du mensonge et de son absence de fiabilité, ce qui limite son attractivité en dehors des régimes autoritaires et annihile son « soft power ». Enfin, l’extrême agressivité diplomatique de la Chine se révèle contre-productive en suscitant l’émergence d’une coalition anti-Pékin dans la zone indo-pacifique et en incitant tous les pays développés à réduire leur dépendance vis-à-vis des exportations chinoises pour les biens essentiels et les activités stratégiques.
L’épidémie de Covid-19 sera la matrice du XXIe siècle, comme le fut la Première Guerre mondiale pour le XXe siècle.
Face à l’atomisation et à la violence qui se sont emparées de l’Amérique comme du ressentiment et de la lassitude qui dominent en Europe, la Chine a pris un net avantage ; mais elle n’a pas encore gagné.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 octobre 2020)