L’Europe est un relais de puissance et une protection pour la France, qui doit se moderniser pour participer à la refondation de l’Union européenne.
La construction européenne est le seul facteur de continuité de la politique étrangère française depuis la IVe République. Le général de Gaulle a accéléré le marché commun et acté la réconciliation avec l’Allemagne. Georges Pompidou lança le premier élargissement marqué par l’adhésion du Royaume-Uni. Valéry Giscard d’Estaing créa l’écu et le serpent monétaire avec Helmut Schmidt. François Mitterrand présida à l’Acte unique puis à la création de l’euro.
Jacques Chirac conclut le très controversé traité de Nice. Nicolas Sarkozy pilota la gestion de la crise de l’euro avec Angela Merkel.
Après la vaine tentative de François Hollande de renégocier le pacte de stabilité, Emmanuel Macron plaida pour la refondation de l’Union, qui a pris corps avec le plan de relance.
Cette permanence de l’axe européen est allée de pair avec une réserve croissante, dont le symbole reste le rejet du projet de Constitution par le référendum de 2005. L’engagement européen était une passion française ; il est devenu une affaire d’intérêts.
À l’instar du reste de l’Union, l’hostilité à l’intégration européenne est devenue en France l’un des chevaux de bataille des populismes de droite et de gauche. Mais, comme en Grèce, en Espagne et en Italie, les électeurs se sont jusqu’à présent prononcés contre une sortie de l’Union et/ou de l’euro.
Certes l’Union a indiscutablement un coût pour les finances publiques françaises que chacun sait dans un état critique. La France est en 2020 le deuxième contributeur de l’Union avec 15,6 % des ressources propres après l’Allemagne (20,6 %) et devant l’Italie (11,6 %). Mais outre les paiements en retour, décisifs pour le secteur agroalimentaire, la France retire des avantages majeurs de son appartenance à l’Union.
L’intégration dans la zone euro et le parapluie de la BCE lui permettent de se financer à des taux d’intérêt négatifs, beaucoup plus bas que ceux auxquels elle accéderait sur une base nationale, et ce à un moment où la dette publique s’envole à 117 % du PIB à fin 2020. Le grand marché européen est le principal débouché des exportations françaises qu’il absorbait à hauteur de 59 % en 2019, même si les parts de marché ont chuté à 8,5 % contre 12 % en 2000 (22,5 % pour l’Allemagne et 12,7 % pour les Pays-Bas). Dans les services, la part de marché française atteint 11,3 %, tirée notamment par le tourisme où 70 des 89 millions de visiteurs internationaux provenaient d’Europe avant l’épidémie. Dans l’enseignement supérieur, les 44 000 étudiants français sont les premiers utilisateurs d’Erasmus devant l’Allemagne (41 000) et l’Espagne (40 000) quand 29 000 étudiants européens seulement sont accueillis, loin derrière l’Espagne (48 000), l’Allemagne (34 000) et le Royaume-Uni (32 000), faute de cours en anglais et de logements. Strasbourg demeure le siège du Parlement européen et plusieurs agences européennes de premier plan sont installées en France, dont l’Autorité européenne des marchés financiers.
Enfin l’Europe constitue un très précieux relais de puissance et d’influence diplomatique pour une France affaiblie.
L’investissement européen de la France est donc bénéfique et rationnel. Le désamour, bien réel, trouve sa source dans une double difficulté pour répondre à la nouvelle donne du XXIe siècle.
La France a brutalement décroché dans les années 2000 en refusant d’adapter son modèle économique et social au passage à l’euro, à l’élargissement et à la mondialisation. L’Union, conçue autour du droit et du marché, s’est révélée incapable de se repenser en termes de puissance pour protéger nations et citoyens de la multiplication des crises et des chocs : krach de 2008, déstabilisation de l’euro, attentats djihadistes, vagues migratoires, prédation de marchés, d’entreprises et d’actifs par la Chine, expansionnisme de la Russie et de la Turquie. Au lieu de faire front commun, elle s’est divisée avec le Brexit, la divergence économique entre le nord et le sud de la zone euro, l’opposition entre l’Ouest et l’Est autour de l’État de droit et de la démocratie illibérale.
Elle s’est cependant mise en mouvement, tardivement mais réellement, sous la pression des crises. Le krach de 2008 et la crise de l’euro ont accouché d’une union monétaire avec la transformation de la BCE en prêteur de dernier ressort et l’émergence de mécanismes de solidarité financière. L’épidémie a donné naissance à une union économique avec le plan de relance de 750 milliards d’euros.
La plus grande inconnue demeure la France. Sa modernisation est la clé de la stabilisation de la zone euro, de la refondation de l’Union et de la naissance d’une Europe autonome dont elle porte le projet. Mais elle n’a jamais paru plus éloignée à l’heure où Emmanuel Macron et son gouvernement ont perdu le contrôle de l’épidémie de Covid-19, de la relance de l’économie, du maintien de l’ordre et de la sécurité publique.
(Chronique européenne publiée simultanément par sept quotidiens européens membres de Leading European Newspaper Alliance (LENA), le 13 janvier 2020 : Le Figaro, Die Welt, El Pais, La Repubblica, Le Soir, Tages-Anzeiger, La Tribune de Genève)