La rébellion de la société s’explique par le mélange explosif d’autoritarisme, de centralisme, et d’impuissance de l’État.
L’épidémie de Covid-19, par sa dimension universelle et par sa durée, constitue un test impitoyable pour la gouvernance des États, la résilience des nations et la cohésion des sociétés. Elle est en passe de devenir la matrice du XXIe siècle, les performances des pays dans leur réponse à la crise sanitaire et économique déterminant la nouvelle hiérarchie des puissances. Elle pourrait bien acter le déclassement définitif de la France qui cumule désormais la perte de contrôle de la crise sanitaire et économique par les pouvoirs publics et la révolte des citoyens.
Du 17 mars au 11 mai, les Français ont été confinés en raison de l’impréparation de l’État, de l’insuffisance des capacités hospitalières, de l’atrophie de la production biomédicale. L’effet de sidération et l’emprise de la peur les ont conduits à accepter la suspension des libertés publiques et la mise à l’arrêt de l’économie.
Il en va tout autrement avec la deuxième vague : la soumission et la résignation font désormais place à la résistance face aux mesures de restriction des libertés et à la destruction de l’économie.
Désobéissance des commerçants et artisans avec le refus d’interrompre l’activité de petites entreprises au bord de la faillite et la multiplication des actions judiciaires contre les arrêtés préfectoraux de fermeture de certains secteurs. Mobilisation des agents publics de la santé qui menacent de cesser de travailler en raison de la pénurie persistante de lits et de personnel.
Protestation des familles contre l’encadrement drastique des visites dans les Ehpad. Dissidence des élus qui s’élèvent contre les décisions incohérentes de l’État et prennent leur autonomie, quitte à tomber dans la caricature avec la création d’un conseil scientifique marseillais. Sursaut des entreprises qui s’opposent à la poursuite des assemblées générales à huis clos annihilant les droits des actionnaires ou qui, à l’image d’Engie, mettent en échec l’État actionnaire en lui imposant de respecter le droit des sociétés et le droit boursier qu’il bafoue régulièrement. Défiance des acteurs économiques et sociaux envers un plan de relance chimérique qui prétend construire l’économie idéale de 2030 sur la ruine de l’économie réelle de 2020.
La rébellion de la société s’explique par le mélange explosif d’autoritarisme, de centralisme, et d’impuissance de l’État.
L’approvisionnement en masques, aussi obligatoires aujourd’hui que présentés comme inutiles hier, est enfin assuré. La prise en charge des malades a progressé afin de limiter le recours à la réanimation et à l’intubation, même s’il n’existe toujours pas de traitement contre le Covid-19. Mais la France reste incapable d’appliquer la seule stratégie efficace pour lutter contre l’épidémie : tester, tracer, isoler, soigner. Les tests sont utilisés de manière anarchique, ruineuse (90 millions d’euros par semaine) et vaine puisque leurs résultats ne sont disponibles qu’après dix jours ; l’application StopCovid est un fiasco sans espoir puisque conçue contre les fabricants de portables ; l’isolement demeure virtuel faute de contrôles ; la capacité de réanimation n’a pas augmenté depuis mars et reste contrainte à 5 800 lits.
L’incapacité à maîtriser l’épidémie interdit toute relance. La cascade des mesures de restriction mine la reprise tout en entretenant un climat anxiogène, ce qui fait plafonner l’activité 10 % en dessous de son niveau de 2019.
Les aides publiques, complexes et hérissées de conditions, se concentrent sur les grandes sociétés, la fonction publique et les salariés, et ne bénéficient que marginalement aux petites entreprises, aux travailleurs indépendants et aux précaires.
Les Français et les entreprises intègrent progressivement le prix des erreurs de leurs dirigeants et commencent à s’adapter à une France à la fois surendettée et durablement diminuée en termes de production, d’emplois et de pouvoir d’achat.
La puissance publique ne peut plus agir ni par le haut, compte tenu de la révolte des citoyens, ni par le bas, compte tenu de la sécession des élus. À osciller en permanence et à multiplier les injonctions contradictoires entre les précautions sanitaires et la survie de l’économie, Emmanuel Macron a perdu sur les deux tableaux et s’est enfermé dans une trappe de défiance. Elle met en péril notre démocratie non par l’instauration d’une tyrannie sanitaire mais par la dissolution de l’action et de l’ordre publics. Une épidémie n’est pas une guerre. Elle ne se combat pas par l’autoritarisme et la peur mais par le civisme des citoyens et la mobilisation des acteurs économiques et sociaux.
(Chronique parue dans Le Figaro du 12 octobre 2020)