Loin de restaurer la grandeur de l’Amérique, Donald Trump en a puissamment accéléré le déclin.
L’élection présidentielle de 2020 est à la fois l’une des plus décisives, des plus vides et des plus inquiétantes de l’histoire des États-Unis.
Le premier débat télévisé qui a opposé le 29 septembre Donald Trump à Joe Biden en est l’illustration. Il n’a désigné aucun vainqueur mais fait deux victimes : les États-Unis et la démocratie.
Les États-Unis cumulent aujourd’hui six crises. Un Pearl Harbor sanitaire face au Covid-19. Une récession historique de 5,2 % du PIB, qui s’accompagne d’une envolée du chômage, d’un déficit commercial record et d’une dette publique qui culminera à 104,4 % du PIB en 2021. Un désastre climatique avec la multiplication des cyclones et des inondations, des sécheresses et des incendies. Une vive tension politique avec la polarisation de l’opinion, la montée des violences et l’installation d’un climat de guerre civile froide. Un blocage institutionnel avec la paralysie du système des contrepouvoirs. Un effacement stratégique avec la fin du leadership des États-Unis, leur repli et leur isolement qui laisse le champ libre aux ambitions impériales de la Chine et des démocratures russe et turque.
Au-delà des États-Unis, c’est la démocratie qui se trouve délégitimée et discréditée, au moment où la mondialisation explose et se trouve sous la pression du total-capitalisme chinois.
La désintégration de la nation et le chaos qui règne à Washington légitiment les critiques adressées par les dirigeants autoritaires à la liberté politique : tyrannie d’une opinion versatile manipulée par les démagogues et de minorités mobilisant les réseaux sociaux ; enfermement dans le très court terme ; impuissance chronique ; incapacité de répondre aux défis planétaires du XXIe siècle. Venant après les attentats de 2001, les guerres perdues d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie, le krach de 2008 et l’épidémie de Covid-19, l’élection de 2020, a fortiori si son résultat devait être contesté, pourrait ainsi acter la chute de l’Amérique et la clôture du cycle démocratique ouvert au XVIIIe siècle.
Loin de restaurer la grandeur de l’Amérique, Donald Trump en a puissamment accéléré le déclin. Sa réélection installerait les États-Unis dans les désordres civils tout en parachevant le démantèlement du système multilatéral ainsi que des alliances qui fondaient la sécurité des démocraties et la suprématie de l’Occident. Elle est plus improbable depuis son atteinte par le Covid et son hospitalisation, qui ramènent l’épidémie au cœur de la campagne et soulignent sa gestion calamiteuse.
Mais la victoire de Joe Biden ne ressusciterait pas l’Amérique de 1945 et son leadership à la fois impérial, bénévole et responsable, si profondes que soient aujourd’hui les lignes de faille qui minent le pays. Quel que soit l’élu, trois réalités s’imposeront.
D’une part, le primat des questions intérieures concernant la relance de l’économie et la cohésion de la société. Le modèle de croissance reste insoutenable sur le plan économique du fait de la faiblesse des gains de productivité, sur le plan social du fait des inégalités, sur le plan financier du fait du grand écart entre les marchés dopés par l’expansion monétaire et l’économie réelle, sur le plan écologique du fait d’un mode de vie démesurément prédateur de ressources naturelles. Par ailleurs, la polarisation de la société est attisée par la guerre culturelle, qui va jusqu’à remettre en question les fondements de la nation.
D’autre part, la priorité donnée à la compétition économique, technologique et militaire avec la Chine. Le mérite de Donald Trump fut d’alerter sur la menace que les ambitions hégémoniques de la Chine font peser sur la paix et la liberté et de placer le cœur de l’affrontement sur le terrain de la technologie. Mais son absence de stratégie et la confusion permanente entre les intérêts des États-Unis et les siens se sont révélés être le meilleur allié de Pékin.
Enfin, le tournant durable en faveur du protectionnisme et de l’isolationnisme.
L’Amérique peut redécouvrir l’utilité de ses alliés et des institutions multilatérales. En revanche, elle ne soutiendra plus les principes du libre-échange et de la société ouverte qui furent au fondement de la mondialisation jusqu’en 2008, pas plus qu’elle ne se réengagera massivement en Europe et au Moyen-Orient. La Chine comme les démocratures russe et turque ou la théocratie iranienne mettront à profit ce retrait pour étendre leur territoire et leur influence.
Les États-Unis, en dépit de leur déclin relatif, restent la première puissance mondiale. Ils continuent à disposer de formidables atouts en raison de la vitalité de la société, de leurs capacités technologiques, de leur puissance militaire. Mais l’expérience national-populiste de Trump a profondément distendu le lien qui les unissait à la liberté politique et a cessé d’en faire la nation indispensable à sa survie.
L’Europe doit en tirer les conséquences en assumant ses valeurs, notamment la défense des droits individuels, la raison et la mesure, et en assurant sa sécurité.
(Chronique parue dans Le Figaro du 05 octobre 2020)