En pleine épidémie de Covid-19, la résilience dont fait preuve l’Italie pourrait lui permettre de cesser d’être l’homme malade de l’Europe.
L’Italie est trop souvent ignorée alors qu’elle est la clé pour l’avenir de l’Europe. Elle demeure la troisième puissance de l’Union et constitue un risque systémique pour l’euro comme pour les marchés financiers.
Or l’Italie fait face à une situation critique. Elle fut au cœur de la crise de la zone euro qui s’ajouta au krach de la mondialisation, ne retrouvant qu’en 2019 son niveau d’activité de 2008. Elle se situa en première ligne dans la crise des migrants, avec l’arrivée de 181 436 réfugiés en 2016. Ces chocs s’ajoutant à une longue stagnation depuis le passage à l’euro ont débouché, à la suite des élections de mars 2018, sur une coalition gouvernementale inédite entre populismes de gauche et de droite, le M5S et la Lega. L’Italie était devenue à la fin des années 2010 le maillon faible de l’Union européenne et de la zone euro.
L’épidémie de Covid-19 a ainsi touché de plein fouet un pays très affaibli. Le bilan sanitaire fait désormais état de 300 897 malades et près de 36 000 morts. Il a pour pendant une récession historique de 10,5 % en 2020. Le PIB du pays se trouve ramené à son niveau de 1999 par un choc qui a dévasté ses pôles d’excellence : la Lombardie et la Vénétie, le tourisme qui génère 20 % de l’activité et les PME industrielles.
Ce choc d’une rare violence aggrave ainsi toutes les pathologies qui caractérisent le mal italien : le déclin démographique ; la stagnation économique et le déclassement de l’appareil productif dans la mondialisation ; la paupérisation de la population et le creusement des inégalités ; la montée de la violence et de l’insécurité.
Mais il apporte aussi son lot de changements positifs qui invitent à ne pas désespérer de l’Italie. En témoignent les élections des 20 et 21 septembre, qui ont bénéficié d’une bonne participation (54 %), montrant un réengagement salutaire des citoyens dans la vie démocratique.
D’un côté, le référendum sur la révision de la Constitution a approuvé par près de 70 % des voix la réduction du nombre de députés de 630 à 400 et de celui des sénateurs de 315 à 200, ouvrant la voie à un fonctionnement plus efficace des institutions. De l’autre les élections régionales ont donné la victoire au centre droit en Vénétie, en Ligurie et dans les Marches, au centre gauche en Toscane, en Campanie et dans les Pouilles. Elles consacrent l’effacement du M5S qui réunit moins de 10 % des suffrages et la défaite de Matteo Salvini, qui a échoué à conquérir la Toscane tout autant que l’Émilie-Romagne en janvier dernier. Au total, le gouvernement dirigé par Giuseppe Conte et la coalition M5S-PD se trouvent confortés, assurant la stabilité du système politique italien jusqu’en février 2022, date de l’élection du successeur de Sergio Mattarella à la présidence de la République.
Autre évolution favorable, l’État a fait preuve d’une efficacité inhabituelle dans la gestion de la crise sanitaire, économique et sociale. Le confinement, décidé dès le 10 mars, fut rigoureusement appliqué et permit de reprendre le contrôle de l’épidémie. Le déconfinement fut maîtrisé et a jusqu’à présent évité une seconde vague comparable à celle que connaissent la France et l’Espagne. La population a montré face à l’épreuve une discipline, un courage et une cohésion qui forcent l’admiration. Le gouvernement a par ailleurs mobilisé près de 100 milliards d’euros pour soutenir les ménages, notamment à travers le chômage partiel qui a concerné 13 millions de salariés, comme les entreprises. La reprise de la consommation et des commandes aux entreprises a ainsi été vigoureuse et continue depuis juin.
Surtout, contrairement à 2011, l’Italie bénéficie dans la gestion de la crise et dans la reconstruction de son économie d’un soutien massif des institutions européennes. Elle est le premier pays visé par le programme d’achat de titres de la dette publique de la BCE. Elle sera aussi, avec 65,4 milliards de subventions, le principal destinataire du plan de relance de l’Union européenne. Enfin, les projets de modification du règlement de Dublin pourraient aider Rome dans la gestion des flux migratoires, dont l’intensité a par ailleurs fortement décru (22 400 arrivées depuis janvier 2020).
L’Italie est très loin d’être sauvée. Son avenir se jouera autour de la mise en œuvre du plan de relance européen. Mais dans le grand bouleversement de la hiérarchie des nations provoqué par l’épidémie de Covid-19, la résilience dont elle fait preuve pourrait lui permettre de cesser d’être l’homme malade de l’Europe – statut peu enviable dont la France risque fort d’hériter. À l’heure où le niveau de la dette publique est moins important que la capacité de l’économie et de la société à résister aux chocs et à se réinventer, l’Italie pourrait renaître, à l’image du tour de force qu’a constitué la reconstruction du pont de Gênes moins de deux ans après son écroulement.
(Chronique parue dans Le Figaro du 28 septembre 2020)