Nos dirigeants ne savent pas composer avec les scientifiques. Leurs objectifs, incompatibles, débouchent ainsi sur des décisions calamiteuses liées au Covid-19 .
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », énonçait Rabelais au XVIe siècle. Politique sans connaissance n’est que ruine de la démocratie, nous rappelle la pandémie de Covid-19, qui a porté à un point d’incandescence les tensions entre la politique et la science, certains médecins prétendant s’ériger en dirigeants quand les responsables publics oscillent entre négation de la science et démission devant leur mission.
En France, le président du Conseil scientifique, le Pr Jean-François Delfraissy, a succombé à la tentation médiatique pour créer la psychose en ne cessant de réclamer un durcissement des restrictions de l’activité et des libertés. Son pendant est le Pr Didier Raoult, qui a renoncé à toute démarche scientifique pour se transformer en gourou d’un dangereux populisme médical.
L’espace médiatique qu’occupent ces savants dévoyés ne s’explique que par l’impuissance de nos dirigeants à définir une stratégie crédible de lutte contre l’épidémie. Les prises de position contradictoires du président, du Premier ministre, des ministres de la Santé, du Travail et de l’Éducation délégitiment la parole publique. Surtout, la France est en défaut sur chacune des mesures nécessaires au contrôle de l’épidémie : la multiplication des tests se révèle inutile puisque leurs résultats ne sont connus qu’au bout de sept à dix jours ; l’application StopCovid constitue un fiasco retentissant ; la pénurie de respirateurs dans les hôpitaux n’a pas été corrigée depuis mars…
La France s’est révélée impuissante à définir une stratégie crédible de lutte contre l’épidémie.
La France est loin d’avoir le monopole de ces dérives. En Chine, Xi Jinping a caché durant des semaines l’existence du coronavirus. Aux États-Unis, Donald Trump a délibérément minoré les risques de la pandémie pour servir sa réélection. L’OMS n’a pas fait mieux, qui, pour complaire aux injonctions de Pékin, a avalisé l’occultation de l’épidémie par la Chine.
Les écologistes ne sont pas en reste, qui, tout en se réclamant des travaux du Giec, dénoncent les technologies, de l’agriculture à l’énergie en passant par la 5G, pourtant indispensables à la transition vers un modèle de développement soutenable.
La science et la politique obéissent à deux logiques très différentes. La première est dirigée vers la connaissance et guidée par l’objectivité ; la seconde est mue par l’engagement, régie par l’efficacité ; elle vise à peser sur les événements en jouant sur les passions et les croyances des hommes.
Plus le monde est complexe, plus les idées fausses prospèrent, surtout lorsqu’elles sont servies par les réseaux sociaux qui font leur miel des théories complotistes. Ce règne de l’émotion, fatal à la science, est aussi destructeur pour la politique : le référendum est inadapté pour délibérer sur des problèmes scientifiques, compte tenu de leur complexité. La convention citoyenne sur le climat s’est achevée sur un cinglant échec. Elle a écarté les questions centrales de la taxe carbone et du nucléaire pour livrer un catalogue de mesures meurtrières pour l’économie et liberticides, sans évaluation de leur bénéfice écologique.
Mieux vaut s’inspirer des nations qui, à l’image de la Corée du Sud, de Taïwan, de l’Allemagne ou de la Nouvelle-Zélande, se sont montrées efficaces pour contrôler l’épidémie en conciliant respect de l’État de droit, intensité technologique, éducation des citoyens et forte cohésion sociale. Raymond Aron, dans sa préface au livre de Max Weber Le Savant et le Politique, concluait : « La nécessité de choix historiques n’implique pas que la pensée soit suspendue à des décisions essentiellement irrationnelles et que l’existence s’accomplisse dans une liberté qui refuserait de se soumettre même à la vérité. » Aux savants de rester fidèles à la déontologie de la science sans prétendre décider à la place des élus. Aux hommes d’État d’assumer le leadership et de l’ancrer non dans la démagogie mais dans le courage et la raison.
(Article paru dans Le Point du 24 septembre)