En ciblant mal son plan de relance, la France laisse passer le train de la reprise. Une erreur qui accentue notre retard avec nos concurrents.
L’épidémie de Covid-19 constitue un formidable accélérateur des transformations du XXIe siècle, qui fait émerger une nouvelle hiérarchie des nations, y compris au sein des démocraties. Du côté des gagnants, celles qui, grâce à la stabilité de leurs institutions et à la qualité de leurs dirigeants, à la puissance de leur industrie, à leur maîtrise technologique et à la cohésion de leur société, démontrent leur capacité à répondre à la crise sanitaire et économique, à l’image de l’Allemagne, de la Suisse ou des pays d’Europe du Nord, de la Corée du Sud, de Taïwan ou de la Nouvelle-Zélande. Du côté des perdants, celles qui, tels les États-Unis ou le Brésil, voient leur impuissance à contrôler l’épidémie déboucher non seulement sur une terrible crise économique, mais sur la désintégration de la société et la mise en cause de la démocratie.
La France prend place dans le peloton de tête des perdants en échouant à relancer son économie. Elle avait d’autant moins le droit à l’erreur qu’elle est entrée très fragilisée dans cette crise et qu’elle n’aura plus d’autre occasion d’emprunter de 20 à 30 % de son PIB pour tenter de reconstruire une économie compétitive et soutenable ainsi qu’une nation solidaire.
La situation de cette rentrée est critique. Aux côtés du Royaume-Uni, la France est le pays développé le plus touché sur le plan économique, avec pour fin 2020 une récession de 12 % du PIB, une remontée du chômage autour de 12 % de la population active et une dette publique de 121 % du PIB. Or, après un effondrement de 13,8 % de l’activité au deuxième trimestre (contre 9,8 % dans l’OCDE) et la destruction de 600 000 emplois au premier semestre, l’économie française n’a connu qu’un rebond à la sortie du confinement et non pas une véritable reprise. Du côté de la demande, la consommation demeure entravée par une très forte épargne (la collecte du livret A a grossi de 20 milliards), nourrie par la peur du chômage, et les exportations stagnent – avec pour effet l’explosion du déficit commercial, qui a culminé à 8 milliards d’euros en juin après 7,1 milliards en mai et 5,1 milliards en avril. Du côté de l’offre, l’industrie ne redémarre que très lentement (l’aéronautique et l’automobile restant sinistrées), et les services ne parviennent pas à se relever compte tenu des très nombreuses contraintes qui pèsent sur eux.
Le constat s’impose. L’été 2020 a été fatal à la reprise en France, morte avant même d’avoir démarré. Et ce en raison du trou d’air dans la production, notamment dans l’industrie, dont l’activité a chuté alors qu’elle tourne en Chine et en Allemagne. Les conséquences de cette reprise avortée sont majeures. Les prochains mois seront dominés par l’emballement des faillites d’entreprise, qui pourraient contaminer les banques prises en étau entre la multiplication des créances douteuses et les taux d’intérêt négatifs, ainsi que par l’explosion du chômage avec la destruction de 600 000 emplois supplémentaires. Les inégalités vont bondir, renforçant la déstabilisation de la classe moyenne – artisans, commerçants et entrepreneurs payant le prix le plus lourd.
Les effets de long terme sont plus importants encore. L’activité ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant 2023 au mieux, ce qui implique des pertes massives de pouvoir d’achat. Le secteur privé ne représentera plus qu’un tiers du PIB et s’engagera dans une spirale d’attrition, notamment du fait du blocage de l’investissement et de l’innovation. La désintégration de la société et de la nation s’accélérera pour le plus grand bénéfice des populistes. Le déclassement de la France, pays du sud de l’Europe sous-compétitif, éclaté et surendetté, deviendra irréversible.
La responsabilité du blocage de la reprise revient tout entière au gouvernement, qui se montre aussi confus et incohérent pour lutter contre l’épidémie que pour gérer la crise économique. Depuis mars, la France ne parvient toujours pas à appliquer la seule méthode fiable contre l’épidémie fondée sur le principe « tester, tracer, isoler, soigner », en raison du manque persistant de capacité de tests, du fiasco de l’application StopCovid, de l’absence de dispositif d’isolement et du flou entretenu autour du nombre de lits de réanimation équipés de ventilateurs. Le grand relâchement qui a présidé au déconfinement débouche désormais, au nom d’un principe de précaution, sur un déluge de mesures autoritaires et anxiogènes. La principale est la généralisation absurde du port du masque dans les entreprises, les établissements scolaires et la région parisienne (31 % du PIB), exception française qui est totalement incompatible avec la reprise. Le masque est ainsi devenu le symbole des errements du gouvernement, qui est passé du déni à la surenchère, enkystant la peur qui contamine la société et paralyse l’activité.
Dans le même temps, le plan de relance reproduit les erreurs du passé : il obéit au principe « trop peu, trop tard, trop dispersé ». Alors que, dans la continuité de son programme bazooka de 1 300 milliards d’euros, l’Allemagne a axé son plan de relance sur le numérique et la transition écologique, le plan français ne mobilise que 100 milliards d’euros et n’affecte que 40 milliards à l’industrie et 20 milliards à la transition écologique, quand 40 milliards sont destinés à une myriade de mesures sociales. Le déluge de fonds publics et le retour en force de l’État dans la gestion de l’économie ne permettront certainement pas de relancer l’activité. Et ce d’autant que ces mesures ne deviendront effectives qu’après l’effondrement du tissu des entreprises et de l’emploi.
Le 6 août, dans Beyrouth dévasté, face à la colère et à la défiance de la population, Emmanuel Macron tançait les dirigeants libanais en constatant que « les financements sont là ; les réformes attendent ». Ce qui est vrai du Liban est vrai de la France. Ce qui nous manque aujourd’hui, ce ne sont pas les fonds publics, ce sont la cohérence, le courage et un ambitieux projet de reconstruction qui, seuls, peuvent bâtir la confiance, déclencher la reprise et susciter un sursaut national.
(Article paru dans Le Point du 3 septembre)